Afro-techno, gabber à la belge et multiculturalité avec Nkisi

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Afro-techno, gabber à la belge et multiculturalité avec Nkisi

À l’occasion du festival BRDCST qui se tiendra du 4 au 8 avril à l’Ancienne Belgique, la DJ/productrice londonienne nous parle de son collectif NON Worldwide !, de résistance, et bien sûr de la Flandre, berceau du mouvement gabber, où elle a grandi.
Marine Coutereel
Brussels, BE

Expliquer en quelques lignes le collectif NON Worldwide!, c’est un peu comme décrire une personne en énumérant ce qui se trouve sur sa carte d’identité : on passe forcément à côté de l’essentiel. Fondé par Chino Amobi (USA), Angel-Ho (Afrique du Sud) et Nkisi elle-même, le collectif réunit artistes, djs, producteurs, musiciens et poètes. « Collectif » n’est peut-être pas le mot adéquat. On parlerait plutôt de plateforme digitale, d’état-nation indépendant, d’espace média virtuel offrant une voix à la diaspora africaine du monde entier. Mais Nkisi vous l’expliquera sans doute mieux que moi.

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VICE : Salut Nkisi ! Mission impossible d’outre-manche : présenter NON Worldwide en une minute ?
Nkisi : Simplement dit, c’est une plateforme d’échange d’informations. Notre but, c’est de connecter les artistes noirs par rapport à une même volonté. Avec Chino et Angel-Ho, on s’est rendus compte à un moment que c’était principalement ça notre force, on partageait la même vision par rapport au monde. Ça part d’un échange d’infos, d’idées, de souhaits, de références, basé sur une intention commune mais aussi et surtout, c’est un refus. On ne veut plus attendre que les gens parlent pour nous, parlent de nous. On tient à forger notre identité nous-mêmes pour ne pas être mal représentés par des média qui pratiquent le white-whasing. NON est un journal d’expression et d’exploration de nos histoires personnelles reliées par un même message : on existe, et on a le droit et la force d’exister.

Un lien avec le « non » dans NON Worldwide ?
Exactement. Il s’agit avant tout de refuser ce qui nous a été refusé : une place dans la société, l’ascension dans le milieu artistique, la reconnaissance, le succès. Mais avant tout, la parole. « Non », c’est le premier mot qui nous vient à l’esprit quand on pense aux gouvernements, à l’industrie musicale, à l’histoire et à la société au sens large.

C’est assez tranché comme position. J’ai l’impression qu’il y a pas mal de « violence positive » dans ton collectif et ta musique.
Pour nous, ce n’est pas de la violence, bonne ou mauvaise. On n’est pas « contre » quelque chose, on n’est pas dans la contradiction car on ne veut pas accentuer encore plus cette séparation, ce clivage qu’on trouve dans la société actuelle. On veut simplement modifier la perception des gens par rapport à la culture et le peuple africain, et surtout autonomiser les noirs dans leurs communautés. C’est plus de, comment dire… de l’ « empowerment » ?

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Une prise de pouvoir ?
Oui, c’est ça. On veut reprendre le pouvoir qu’on nous est arraché depuis trop longtemps.

Tu considères donc ta musique comme une arme ?
Pas comme une arme au sens propre, non. Mais comme un outil d’échange et de production d’informations. Pour moi, la musique permet de fluidifier les idées que je veux partager avec mon public. C’est un échange d’énergie et de valeurs qui se passe sur le dancefloor, et qui j’espère va déstabiliser mon audience. Je veux ouvrir un portail avec ma musique, et transmettre par le son ce qu’aucune langue ne m’a jamais permis de mettre en mot. Et pourtant j’en parle beaucoup.

Encore à propos de ta musique, pour ceux qui ne te connaissent pas, un mot pour la décrire ?Je dirais afro-techno, low-fi techno, confrontional club music ?

C’est plus qu’un mot mais ça me semble assez explicite. Comment utilises-tu tes différents héritages culturels dans tes sons ?
Je joue beaucoup sur le fait d’avoir différentes références, de mixer plusieurs genres. La musique, c’est ma machine pour traiter et gérer les émotions qui me traversent. Les sonorités africaines et les rythmiques congolaises font partie de mon éducation. Elles me proposent des réponses émotionnelles que je trouve intéressantes, et qui répondent bien à mes recherches musicales.

« J’ai grandi en Flandre, et si tu viens d’un autre pays, on t’appelle « vreemdeling », étranger. Cette binarité dans le langage, c’est déjà une exclusion. »

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Et ton héritage belge dans tout ça ?
Tout le côté hardcore et gabber, ça vient de là. J’ai quand même vécu toute ma vie en Flandre, n’oublie pas ça ! (rires)

Justement, pourquoi avoir quitté la Belgique pour Londres ?
Je pense que je n’y trouvais pas la place pour les conversations que je voulais générer, les sujets que je voulais aborder. Je n’ai pas eu une relation très saine avec la Belgique. Y habiter ne m’aidait pas dans mon émancipation personnelle. Quand j’ai débarqué à Londres la première fois, j’ai tout de suite senti qu’il y avait une place pour les questions que je me posais et que des conversations importantes étaient en cours. Six mois plus tard, j’ai fait mes valises et j’ai dit bye-bye Leuven.

Tu dirais que la Belgique est un pays plutôt fermé d’esprit, où la multi-culturalité n’a pas vraiment sa place ?
Non pas tout à fait, je pense que depuis le temps les choses ont changé. Et en bien. Ça bouge. Quand je vois les programmes du Beursschouwburg ou du KVS, on assiste à la naissance d’un truc. Mais c’est toujours la même chose qui coince : la mixité a toujours été présente, le problème réside dans sa non-acceptation. C’est pour moi le principal obstacle que j’ai rencontré en Belgique : malgré les initiatives qui fleurissent, et elles ne sont jamais assez nombreuses, il n’y a toujours pas d’ouverture d’esprit généralisée.

Tu peux me donner un exemple concret ?
Pour moi, ça se trouve déjà dans le langage. J’ai grandi en Flandre, et si tu viens d’un autre pays, on t’appelle « vreemdeling », étranger. Cette binarité dans le langage, c’est déjà une exclusion. C’est très violent, très radical. Quand je reviens en Belgique, je vois certaines choses et je me dis « aïe ». Je vois tous ces jeunes qui comme moi font partie de cette génération qui a grandi en Belgique et qui parle parfaitement bien le néerlandais ou le français, qui a reçu une éducation cent pour cent belge, mais qui n’a jamais été acceptée en tant que Belge. Mais justement, je pense qu’il y a beaucoup de choses qui peuvent sortir de ces déceptions au niveau artistique. Moi, toutes ces frustrations, je les inclus dans ma musique. Et je tente d’exorciser cette domination par le son.

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Tu te souviens de ton premier sentiment d’exclusion en Belgique ?
J’habitais à Leuven, donc déjà c‘était une ville moins mixte que Bruxelles. J’ai toujours été la seule noire de la classe, parfois même de l’école. Je me souviens de remarques comme « hé, ton sang, c’est le même que le nôtre ? ». Mais c’est plus à trouver dans les attitudes et les regards qu’on te porte, pas vraiment un évènement en particulier. Inconsciemment, tu ressens certaines choses quand tu es tout petit, que tu comprendras plus tard.

Comment réagissais-tu ?
Je revenais pleurer dans les jupes de ma mère. Elle a toujours bien su répondre à mes angoisses. Je l’entends encore me dire : « C’est pas tout le monde qui va t’aimer Melika, toi non plus tu n’aimes pas tout le monde ». Et j’ai appris à vivre avec ça.

Est-ce que tu penses que l’industrie musicale ou artistique belge manque de personnes de couleur ?
Non, ils sont là, ils existent, ils font des choses. Mais on en revient toujours au problème d’empowerment. Les acteurs du système de valeurs en place choisissent ce qui est mis en avant, ce qui est montré, et c’est rarement une représentation de ce qu’il se passe. Tout est toujours là mais ce qui est visible n’est jamais sélectionné par les bonnes personnes. C’est pour ça que ça reste underground. Ce n’est jamais mis en lumière. Les cultures afros et les groupes opprimés ont toujours été à la base des mouvements undergrounds.

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C’est pour ça que ton collectif agit surtout via Internet ?
Oui. Le pouvoir de nos jours, c’est Internet. Il y a une possibilité de portée internationale sans devoir passer directement par des structures trop lourdes ou trop contraignantes qui empêchent la visibilité. Internet fait sauter les frontières, ça permet une forme de libre accès. Du coup toutes les personnes noires qui partagent notre envie de faire bouger les choses et de faire entendre leurs voix peuvent facilement nous trouver.

Est-ce qu’on a déjà reproché à NON Worldwide de créer une communauté noire exclusive qui veut se dissocier de la société ?
Non, pas à ma connaissance, mais sans doute que certaines personnes le pensent parce qu’ils ne comprennent pas ce que nous faisons. On a créé NON pour souligner une division déjà présente, justement. Pas pour en créer une. Mais ton idée de communautarisme est intéressante, c’est pour ça qu’on propose plein de voix et de visions différentes dans la manière dont on travaille. Il s’agit aussi d’un processus d’auto-critique de notre communauté, pour ne pas faire du surplace et rester coincé dans une seule formule, dans une boîte d’identité unique et fixe.

J’ai vu que tu avais déjà joué en Belgique. Comment la foule réagit à ton set en général ?
J’ai toujours été super bien reçue. J’ai joué au Recyclart, et c’était beau tout cette mixité du public belge. Queer, LGBT, afros, espagnols, arabes, jeunes, vieux. Y a de tout et ça fait plaisir à voir. Ce genre de public réagit super bien, il y a des trucs qui se passent, grâce au rythme, aux ondes, des échanges qui découlent de cette force de rassemblement. Pour moi, par contre, c’est beaucoup plus stressant de revenir jouer ici. J’ai toujours au fond de moi cette envie d’être acceptée en Belgique, parce que je suis aussi belge et que ma manière d’être et de travailler est inspirée par la Belgique. Et on sait bien que nul n’est prophète en son pays.

Nkisi est à l’affiche du BRDCST festival, organisé par l’Ancienne Belgique, au côté de Young Fathers, SCRAAATCH, James Holden, The Music of Stranger Things, Sleaford Mods et bien d’autres .

Elle se produira au Bonnefooi le vendredi 6 avril . En attendant, vous pouvez écouter son dernier mix ici .

Pour plus de Vice, c’est par ici.