Avec les sapeuses congolaises

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Culture

Avec les sapeuses congolaises

Rencontre avec des meufs beaucoup mieux habillées que nos blogueuses mode.

Cet article a été initialement publié sur Broadly.

À une époque pas si lointaine, la Société des Ambianceurs et des Personnes Élégantes – ou SAPE – était l'incarnation la plus manifeste de l'existence de multiples sous-cultures sur le continent africain. En République Démocratique du Congo (RDC), les sapeurs, comme ils se nomment eux-mêmes, parcouraient les rues de Kinshasa dans leur costume trois-pièces, confortablement installés dans des chaussures en crocodile, indifférents à l'égard de l'agitation qu'ils provoquaient. Aujourd'hui, tout le monde les connaît : des documentaires en parlent, Guinness en a fait son étendard, et le palais de Tokyo les a célébrés en 2015.

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Il est facile de comprendre pourquoi le monde est tombé amoureux de ces types. Leur excentricité va de pair avec la sympathie qu'ils véhiculent, et ils rappellent à tout le monde que la mode, même la moins onéreuse qui soit, peut permettre à n'importe qui d'être reconnu en tant qu'individu – tel un pouvoir libérateur, bien loin de l'aliénation des marchandises standardisées, sans saveur, produites à la chaîne. Seul ennui : la Société des Ambianceurs et des Personnes Élégantes a toujours été dominée par des hommes. Du moins, jusqu'à récemment.

Le photographe Junior D. Kannah accompagne les sapeurs de Kinshasa depuis des années – et notamment chaque 10 février, journée officielle de la sape. « Cette date marque la mort du père fondateur de la sape, Stervos Niarcos, décédé à Paris il y a 20 ans », nous explique le photographe. Chaque année, donc, les sapeurs se réunissent dans leurs habits de lumière pour rendre hommage au « Pape » de la sape, sur sa tombe. En 2011, Kannah a croisé une personne qui détonnait : une femme parmi les sapeurs. « J'ai vu pour la première fois de ma vie une sapeuse parmi tous ces types, une femme vêtue d'un pantalon noir, d'une chemise, et qui tenait dans sa main un gilet sur-mesure. Elle criait, sautillait, se pavanait. Son look m'a tout de suite attiré. C'est là que j'ai fait la connaissance de la Reine de la sape, Mama Afrika. »

Peu à peu, Kannah a découvert un univers dont il ne soupçonnait pas l'existence, celui des sapeuses. La communauté, qui n'a eu de cesse de s'élargir à Kinshasa, est au cœur du dernier ouvrage du photographe, intitulé Lady Dandies of the Democratic Republic of Congo. De la « Reine du soulèvement » à la « Princesse de la Sape », toutes ces sapeuses sont célébrées pour ce qu'elles sont : des femmes libres, qui se moquent des critiques entendues dans les rues. Lors de l'un de ses reportages en leur compagnie, Kannah a entendu un passant dire très clairement qu'il « vaudrait mieux que ces femmes s'occupent de leur foyer plutôt que de se pavaner dans la rue ».

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Selon Kannah, on dénombre aujourd'hui une sapeuse pour cinq sapeurs – et la proportion continue à s'inverser, de par les changements dans la société congolaise. « Leur style est incroyable, résume le photographe. C'est une revendication, une affirmation identitaire, tout en s'inspirant de créateurs qui, eux aussi, revendiquent leur identité et leur autonomie : Rei Kawakubo, Versace, Roberto Cavalli, Alexander McQueen. » Nous avons tenu à donner la parole à certaines de ces femmes.

Inda « La Petite » Gabie, 51 ans, marchande

« Je pense que l'on naît sapeuse plus qu'on ne le devient : c'est un don, un destin. Je me suis toujours bien habillée, j'ai toujours tenu à me démarquer. Mon chapeau m'a été offert par une autre sapeuse, qui se surnomme « la Reine d'Angleterre » – c'est un Versace, l'un de mes créateurs favoris. Aujourd'hui, en RDC, les femmes travaillent dans tous les domaines, mais elles doivent constamment faire leurs preuves. M'habiller de cette manière permet de mettre à mal les stéréotypes. »

Musa « Princesse de la Sape » Umpalaba, 30 ans, étudiante en couture

« Je récupère mes fringues chez mon grand frère, qui gère sa propre marque à Kinshasa. Sinon, j'étudie la couture et me forme à ses côtés. Je suis capable de créer tout ce dont j'ai besoin. J'ai deux filles et j'espère que leur vie sera plus facile que la mienne. J'aimerais qu'elles deviennent sapeuses et qu'elles me laissent leur donner quelques conseils. Pour le moment, elles croient fermement en Dieu, donc on verra bien… »

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Maguy « Mama Afrika » Ndumza, 33 ans, arnaqueuse (comme elle le dit elle-même)

« C'est une pasteure et sapeuse qui m'a donné envie de le devenir. Elle s'appelle Mama Malu et passait par mon village dans ses habits magnifiques et ses chapeaux extraordinaires, qu'elle avait achetés en Europe. Aujourd'hui, je commande mes vêtements à de la famille et des amis vivant à Paris : les costumes pour hommes de chez Yoji Yamamoto sont mes préférés. Sinon, je colore mes nattes en jaune, violet et rouge : c'est ma signature de sapeuse. Pas mal de mecs me disent que je ne trouverai jamais de mari avec un tel accoutrement. Franchement, je les ignore. »

Barbara « Reine du Soulèvement » Kasende, 35 ans, détaillante

« Être sapeuse est un mode de vie, et un don. Mon frère était sapeur et je l'idolâtrais. J'adorais ses costumes. Ma première expérience de sapeuse date de 1999, lors d'un voyage à Brazzaville. Je portais un costume d'homme noir et des chaussures rouges, ainsi qu'une écharpe rouge : je me sentais tellement bien. Des années plus tard, j'ai commencé à travailler dans le mode, et à dénicher des fringues qui me plaisaient. Aujourd'hui, je fais partie d'un groupe reconnu de sapeuses : les Léopards. J'adore porter des costumes de mec de chez Zara ou H&M, et surtout des fringues de Carlo Pignatelli. À ceux qui disent que les femmes n'ont pas à porter de tels habits, je préfère ne pas répondre : ce sont les mêmes qui affirment que les femmes n'ont rien à faire dans l'armée ou en politique. »

Kimbondo « Mama Africa Mayise » Dumbo, 36 ans, propriétaire de bar

« On croit souvent que les sapeuses sont lesbiennes – ce qui est un énorme tabou en Afrique. Il faut donc être courageuse pour s'habiller comme je le fais. Je travaille beaucoup à parfaire mon style, mes vêtements, à contacter des gens qui voyagent en Europe pour me ramener des fringues. Cette écharpe Alexander McQueen a été rapportée d'Europe par mon cousin Depitsho, un musicien qui joue régulièrement à Paris. »