Ce que votre photo de profil Facebook dit de vous

Je me rappelle encore du jour où je me suis inscrit sur Facebook. Le ciel était bleu et strié de rayons de soleil. Des nuages blancs et cotonneux flottaient au loin. J'étais un jeune étudiant plein d'espoir, et aux perspectives d'avenir foisonnantes. « Je vais m'affranchir de mes dettes estudiantines avant de mourir ! », me disais-je souvent. « Mon diplôme en linguistique va me permettre d'être financièrement stable tout au long de ma vie ! », me répétais-je parfois.

Mon amie Jane, qui disposait du WiFi et vivait en face de chez moi, m'a aidé tout au long de mon inscription. « C'est une sorte de site web pour poster tes photos de soirée », m'avait-elle expliqué. Mes colocataires et moi sommes instantanément tombés amoureux de Facebook. L'audacieuse alliance du bleu et du blanc, la possibilité de se connecter. Pas un jour ne passait sans que nous ne recevions une nouvelle demande d'ami, ou une notification pour nous avertir qu'un nouvel album photo avait été mis en ligne. « Il faut que tu mettes une photo de profil », a poursuivi Jane. C'est précisément ce que j'ai fait. J'y ai beaucoup réfléchi, en jaugeant méticuleusement les cinq photos de moi dont je disposais à l'époque. Sur l'un d'elles, j'étais debout. Sur une autre, assis. J'ai considéré chacune des mes options, avant d'opter pour la photo suivante – laquelle était de loin la meilleure représentation de ma personne et de tout ce en quoi je croyais :

Toutes les photos viennent du profil Facebook de l'auteur.

Pas grand-chose à en conclure, si ce n'est que j'étais aussi imbuvable à 20 ans qu'aujourd'hui. Mais analysons les photos suivantes, si vous le voulez bien.

Ah, qu'est-ce qu'on s'amuse. Rien de tel qu'une photo pareille pour hurler « J'aime boire et m'amuser avec mes amis ! » à la face du monde.

Parfait, encore un souvenir de moments précieux passés avec mes amis. Maintenant que je me suis suffisamment embarrassé, je vais plutôt énoncer les différents types de photos et tenter de déterminer quel type de personnes elles illustrent.

Vous travaillez pour VICE France en tant que directeur digital, TV & Press.

Je peux affirmer avec certitude que si je vous envoie un texto comportant une mauvaise nouvelle – je viens de perdre mon boulot, ma maison a brûlé, 18 de mes chiens ont péri dans un incendie –, vous me répondrez avec deux emojis tristes et le mot « champion ».

Vous avez beaucoup de mal à vous remettre de la seule fois où vous vous êtes vraiment amusé.

La photo de profil actuelle de l'auteur.

Au bureau, vous êtes ce collègue embarrassant qui lance « On boit un coup ? » au moins six fois par jour, toujours avec ce petit air espiègle qui laisse supposer que vous êtes en train de plaisanter. Les gens sont malheureusement toujours occupés, ils ont déjà prévu quelque chose. Bien sûr qu'ils ont autre chose à faire. Ils ont d'autres ambitions que de passer une soirée à se bourrer la gueule avec une personne qu'ils croisent occasionnellement dans leur open-space. Vous continuez pourtant de hurler à la cantonade, prenant ensuite à parti chacune des personnes qui se trouvent dans votre périmètre proche : « Alexis ? Tu viens boire un coup ? Romain ? Bière ? Glenn ? Non, toujours pas ? Léo ? ALLEEEEEZ Léo, juste une bière ! » Vous prenez une fausse expression exaspérée avant de vous résigner à prendre le chemin du retour. Puis arrive enfin la douce délivrance du vendredi – tout le monde a été payé la veille, tout le monde veut aller au bar. Vous insistez pour esquiver le bistrot tout à fait respectable qui se trouve à proximité de votre bureau, préférant prendre le métro pour découvrir de nouveaux horizons. Après quelques pénibles minutes d'attente, vous vous empressez de commander deux cocktails, fier de votre petit forfait, avant de constater que vous avez loupé l'Happy Hour de deux minutes et que votre addition s'élève déjà à 19 euros, votre visage demeure impassible mais votre corps tout entier se meut pour refouler le cri déchirant qui vous pend aux lèvres, vous savez au plus profond de votre être que personne ne vous a jamais aimé et qu'il est de toute manière impossible de tenir une conversation dans un lieu aussi bruyant que le rade que vous avez choisi, et les gens commencent déjà à récupérer leurs affaires pour partir sans demander leur reste, vous êtes en train de les perdre un à un, plus personne n'écoutera jamais vos conseils, tout incapables qu'ils sont de voir à quel point votre besoin de vous réfugier dans la boisson est un appel au secours, vous finissez par chercher désespérément à attirer le regard de l'un des derniers rescapés de la soirée, et vous demandez gentiment à votre directeur de clientèle de vous prendre en photo en lui tendant votre téléphone préalablement déverrouillé pour lui faciliter la tâche, puis vous posez, vous souriez un peu trop puisqu'il vous est impossible de sourire naturellement sur la moindre photo depuis qu'un vide abyssal s'est créé en vous, et vous levez votre verre dans une ultime tentative d'avoir l'air heureux, et nous y voilà – vous avez une nouvelle photo de profil.

Vous êtes toujours un simple invité aux mariages, jamais dans le camp très fermé des demoiselles d'honneur ou des témoins – un invité, affublé d'un beau costume ou d'une robe de cocktail, probablement parce que vos proches sont encore loin d'envisager de se marier, et vous-même en êtes encore plus éloigné puisque les mariages requièrent une solide organisation, sont prévus des mois à l'avance et parfois même des années, et vous êtes ainsi condamné à être l'éternel +1 de quelqu'un d'autre, un inconnu dans une foule d'amis, un étranger sur une terre étrange, une blatte dans le velouté, une âme en peine venue profiter d'un bon repas, qui se demande de temps à autre comment les gens réagiraient si vous vous leviez pour prononcer un discours même si vous ne connaissez absolument personne, avant de réaliser que ce serait forcément gênant et qu'il est plus sage de vous rabattre sur un verre de crémant, et vous dansez seul, et quand le photographe vient vous voir pour immortaliser cette soirée placée sous le signe de la célébration, vous décidez de briser le quatrième mur, vous regardez directement l'objectif, vous faites un signe de gang, vous dabbez, peu importe, vous posez parce que vous avez encore du mal à accepter la triste réalité qui caractérise tous les mariages où vous avez eu l'occasion d'aller, et la réalité est la suivante : vous ne trouverez jamais l'amour, vous êtes seul et vous avez froid dans cet univers gigantesque, vous n'arrivez pas à prendre quoi que ce soit au sérieux et personne ne peut compter sur vous. Mais aussi : vous n'êtes pas si mal quand vous portez autre chose qu'un jean et un T-shirt, et il est absolument nécessaire que vos amis Facebook en aient conscience.

L'un des grands intérêts des animaux de compagnie, c'est qu'ils peuvent vous rappeler à quel point vous êtes responsable, que vous êtes capable de maintenir un autre être vivant en parfaite santé, et cet animal vous récompensera en vous montrant l'amour loyal, aveugle et inconditionnel qu'il vous porte, et vous vous nourrissez de son amour, vous le laissez emplir la moindre parcelle de votre corps pour finalement le transformer en quelque chose de sombre et disgracieux, tout ça pour glaner quelques misérables likes. Voilà à quoi ressemble votre vie désormais, en tant que l'heureux propriétaire d'un animal – en faisant ce type de photo, vous êtes en train de dire : J'ai trouvé une manière imparable d'assouvir mon envie irrésistible de prendre des selfies, tout en sabotant l'idée même de selfie grâce à la présence de mon animal. Vous êtes en train de dire : Je n'ai pas un physique suffisamment remarquable pour poster une photo numérique où je figurerais seul, mais je suis le propriétaire de ce chat innocent qui lui, se suffira toujours à lui-même . Et cet animal est le seul être vivant à même de poser avec vous pendant une session de 20 minutes. Finalement, le selfie en présence d'un animal de compagnie est le plus indulgent des selfies. C'est ce que vous êtes en train de dire.

Vous avez 55 ans, vos enfants sont enfin indépendants – il ne reste plus que vous, vos chats et votre grande maison vide. Votre fille vous a inscrit sur Facebook, mais vous ne maîtrisez pas tout à fait cette plateforme. Vous avez ajouté tous ses amis et commenté chacun de leurs statuts. Mais personne ne like vos commentaires, n'est-ce pas ? Personne ne semble vraiment tenir compte de votre présence sur les réseaux. Vous êtes un fantôme qui s'immisce dans les brèches d'une grosse machine. Mais votre chat est là, lui. La solitude vous a rendu bizarre au fil des jours, et vous postez désormais des statuts de son point de vue. Quand le monde prendra fin, que ce soit dans une explosion ou un murmure, votre chat sera toujours là pour vous écouter.

Oh-oh, je crois qu'on a affaire à un authentique hédoniste ! Je suis sûr que vous avez une chambre incroyablement bien rangée à même de provoquer des sueurs froides chez le plus fervent des utilisateurs de Pinterest, et que vous avez un parfum de bougie préféré ! Je suis sûr que votre shampooing coûte excessivement cher ! Vous venez d'échanger de l'argent contre un plat dans un putain de restaurant !

Vous vous êtes mis à la photographie il y a deux mois, et même si vous ne maîtrisez pas encore tout à fait le concept d'exposition, vous avez ajouté le mot « Photographe » à votre nom d'utilisateur après qu'une vague connaissance vous ait gentiment proposé de faire les photos de son mariage l'année prochaine.

Vous n'arrivez pas à affronter la vraie vie, et vous n'arriverez jamais à affronter la vraie vie.

Ce genre de photos dit « Oui, je fais aussi du sport », ce qui deviendra très bientôt votre seul sujet de discussion en dehors du boulot, de ce qu'il se passe à votre boulot, de votre situation au boulot et de la promotion que vous essayez d'obtenir au boulot.

Le message que vous essayez de faire passer est le suivant : « Je suis cool, je suis fun, je suis mignon(ne), mes yeux brillent comme des pierres précieuses, je suis un être céleste et transcendant » – mais ce que les gens retiennent vraiment, c'est : « Il a fallu que je prenne une capture de cette photo, que je la recadre, que je l'envoie sur le Cloud pour la télécharger sur mon ordinateur afin de la modifier une dernière fois sur Photoshop, que je l'uploade sur Facebook à une heure où personne ne la remarquera, avant de finalement la mettre en photo de profil Facebook ainsi que sur Tinder parce que si je ne me fais pas tisonner le fourneau dans un futur proche, je vais crever la bouche ouverte. »

W-woah ! Ces toilettes ont une lumière qui oscille entre le bleu et le vert ! Je vais prendre 25 selfies identiques pour m'assurer d'avoir une photo publiable, quand bien même chaque cliché sera plus flou que le précédent, et j'en ai strictement rien à foutre que mon Uber soit déjà là, c'est pas tous les jours qu'on peut bénéficier d'une telle lumière !

« C'est un truc que font les couples », argue votre partenaire. « Ça fait déjà huit mois qu'on sort ensemble. J'aimerais juste que tu n'aies pas honte de moi et que les gens sachent que j'existe. » À mesure qu'il/elle déblatère, vous regardez la télé d'un œil distrait. Une rediffusion de Koh Lanta. Dire que la prochaine saison se déroulera au Cambodge ! Ça promet beaucoup de situations périlleuses. « Hmm ? » Votre partenaire lâche un petit soupir. « Écoute, je suis pas non plus en train de te demander de préciser qu'on est en couple sur Facebook, mais est-ce que c'est trop demander de publier cette petite photo de nous deux ? » « Non, non. Bien sûr que non. Tu avais quelle photo en tête ? » « Celle devant le Palais de Tokyo. On est bien dessus. » « OK », rétorquez-vous avant de vous exécuter. Vous changez votre photo de profil. Déjà trois likes. Rien d'incroyable pour autant. Mais après tout, c'est une jolie photo. Vous deux, en train de sourire, rayonnants. Mais regardez cette image d'un peu plus près, au niveau des yeux : il y a quelque chose de mort dans vos yeux. Êtes-vous… êtes-vous toujours aussi heureux que vous ne le pensiez ? Vous y réfléchissez de temps à autre, parfois à l'heure du déjeuner, peut-être qu'il ne serait pas judicieux d'emménager ensemble aussi vite, peut-être que – non, tout va bien, tout se passe à merveille. Tout va bien. Vous allez très bien.

@joelgolby