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Comment survivre quand on a des gros seins

Sport, regards lubriques et jalousie : bienvenue au Royaume des bonnets D.

L'autre jour, je buvais un verre avec un collègue. À la seconde pinte, il a profité d'un moment de silence pour tirer une longue taffe sur sa cigarette – le genre de taffe que l'on inhale avant de sortir une connerie bien pompeuse. « Parfois, je me dis que je tuerais pour être une belle femme, a-t-il avancé. Ces filles-là doivent passer leur vie à s'éclater. » Face à une telle remarque, je me suis contentée de répondre « moi aussi », histoire de recevoir un compliment en retour. Sauf que ce type n'a rien trouvé de mieux que de dire : « Toi, tu as de la chance. Tu as des énormes seins. »

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Ce n'était pas la première fois que l'un de mes potes se plantait au sujet de ces kilogrammes de graisse que les femmes portent sous leurs clavicules. C'est pourquoi, dans un élan d'altruisme et dans une perspective d'éducation des masses, j'ai décidé de vous rappeler ce qui attend n'importe quelle personne dotée de formes jugées « généreuses ».

La société ne fait pas de différence entre une poupée gonflable pour mecs interlopes, et vous
Bon, j'ai sans doute l'air de généraliser, mais le fait est que sur un plan purement optique, il est impossible de ne pas voir les seins d'une nana – à plus forte raison quand ils sont conséquents. Une femme ayant enjambé la barrière du bonnet D se retrouve obligée de surveiller sa tenue en permanence.

La robe légère à motif floral ? Obscène. Le petit haut sans bretelles ? Obscène, à moins que vous ne bougiez jamais vos bras. En fait, n'importe quelle tenue un tant soit peu décolletée paraîtra inappropriée aux yeux de vos interlocuteurs. Le seul moyen de couvrir une grosse poitrine sans être considérée comme une membre du milieu du X est de remplir sa garde-robe de fringues achetées dans un rayon homme – de préférence en taille L, au minimum.

N'imaginez surtout pas que le rayon lingerie offre le moindre réconfort. Passé un certain bonnet, il vous est impossible de débusquer un soutien-gorge qui ne ressemble ni à une brassière pour sportive lesbienne ni à un objet informe réservé aux baroudeuses de l'extrême. Vous connaissez cette fille un peu mal à l'aise qui erre dans des centres commerciaux diaphanes et glauques ? Elle cherche probablement des sous-vêtements qui ne la font pas ressembler au premier rôle d'une publicité pour des tartines gluten free au froment.

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Photo via Flickr

L'envie du sein – cf. l'envie freudienne du pénis
« On désire toujours ce que l'on n'a pas. » Voilà une phrase répétée par un bon paquet de parents occidentaux au moment d'inciter leur gamin à choisir la section « scientifique » au lycée. On pourrait en dire autant des seins.

L'enthousiasme forcé allant de pair avec le compliment hypocrite caractéristique des relations inter-filles ne sert qu'à rappeler à la société phallocrate que même les meufs qui ne se détestent pas entrent en compétition à la seconde où il est question de nichons. La position de ce Rubicon gender-normé varie selon les tailles. Les bonnets A tueraient pour quelques grammes de graisse de plus, tandis que je passe mon temps à me dire que planter un couteau dans mon sein droit me permettrait de mieux vivre mes séjours au bord de la mer.


Le sport, aussi connu sous le nom d'Enfer sur Terre
L'Institut national de la statistique et des études économiques ne s'est jamais penché sur le sujet, mais je dirais qu'à peu près 80 % des activités sportives sont inenvisageables pour les femmes dont la poitrine rend leurs gros orteils invisibles. Courir après un bus ressemble au calvaire vécu par le soldat Lawrence dans Full Metal Jacket. N'importe quel sport collectif dans lequel le fait de bouger est une obligation vous conduit inévitablement : 1/ à être considérée avec dédain par vos camarades si vous n'acceptez pas de voir vos loches dodeliner, ou 2/ à être considérée avec lubricité par vos camarades si vous acceptez de voir vos loches dodeliner.

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Photo de Stefanie Katzinger

La vieillesse n'est pas un remède, bien au contraire
Quand j'ai cinq minutes devant moi, au boulot ou dans un transport en commun entourée de gens louches, je m'imagine à 85 ans, gisante dans mon lit de mort. Avec ce qui me reste de souffle, j'écarte d'une main tremblante mes seins flasques qui recouvrent mon nombril. J'admire pour la première fois depuis une soixante d'années l'intégralité de mon corps, avant d'exhaler mon dernier souffle.

J'ai un mépris assez prononcé pour les hommes qui acceptent de vieillir – ceux qui récitent du Ronsard en regardant les roses faner. Ceux qui accueillent leur ceinturon de gras et leurs premiers cheveux blancs avec bienveillance. Ceux qui prétendent que la jeunesse passe mais que la beauté intérieure demeure. Ces types oublient un détail : il est facile d'accepter de vieillir quand l'angoisse des seins qui pendent ne vous menace pas comme l'épée de Damoclès.

Sérieusement, à quand remonte la dernière fois que vous avez complimenté un type au sujet de la bosse perceptible au niveau de son entrejambe ?

La différence entre compliment et harcèlement est ténue
Un nombre assez important d'hommes aime admirer des seins – rien de très grave jusque-là. Les femmes le font aussi. Force est donc de supposer qu'il y a peut-être une prédisposition génétique contre laquelle on ne peut absolument rien. En revanche, faire d'une poitrine le sujet principal d'une conversation rend les choses bien moins agréables.

Complimenter des seins peut être flatteur – du moins, sur le papier. Mais, en pratique, un mec ou une meuf qui passe dix minutes à évoquer le galbe de votre poitrine doit être un lecteur de Lui en parallèle – et donc quelqu'un de profondément méprisable. Sérieusement, à quand remonte la dernière fois que vous avez complimenté un type au sujet de la bosse perceptible au niveau de son entrejambe ? Vous ne l'avez jamais fait ? Demandez-vous pourquoi.

Personnellement, depuis le début de ma puberté, j'appartiens au club des victimes de harcèlement sexuel constant. C'est un peu comme la pluie, on doit s'y habituer sous peine de passer ses journées à maugréer contre le reste de l'humanité. J'ai étudié pendant cinq ans la philosophie analytique pour finir par être réduite à deux protubérances graisseuses.

Alors, OK, la poitrine est ce que l'humanité a fait de mieux depuis des millénaires – avec les pyramides d'Égypte et les foies gras confectionnés par ma grand-mère. Il est quasi-impossible de s'en lasser. Sauf que hormis votre cancérologue, votre petit ami et votre pote gay, personne ne devrait avoir le droit de la fixer pendant des heures tel un orang-outan prenant conscience de sa propre existence dans un palais des glaces.

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