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L'Haejangguk est la potion magique des Coréens pour dire adieu à la gueule de bois

Le Haejangguk, qui signifie littéralement « soupe pour enlever la gueule de bois », est un breuvage roboratif censé redonner des forces après une soirée placée sous le signe de la débauche.
Photo via Flicker user : annamatic3000

Tous les week-ends c'est la même, vous avez azébu sur la dose de whisky et le lendemain vous voila gratifié d'une bonne gueule de bois. Parce qu'invoquer Sainte Vivianne, la Patronne des lendemains de cuite, dans le petit sanctuaire que vous lui avez consacrée sur votre étagère ne marche pas à tous les coups, direction la Corée du Sud, dans ce pays ou les excès de soju et autres makgeolli sont monnaies courantes comme le Won et où le Haejangguk est l'un des remèdes les plus courus pour lutter contre la gueule de bois.

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Haejangguk 2

Un bol de Haejangguk réconfortant. Photo via Flickr user : koreanet.

Opa Ramasse style

Le Haejangguk, qui signifie littéralement « soupe pour enlever la gueule de bois », est donc une sorte de soupe roborative censée redonner des forces après une soirée placée sous le signe des excès. On en trouve traditionnellement dans la rue – et en particulier les samedis ou dimanches matins – ou dans les restaurants ouverts 24 heures sur 24 qui la proposent à leur carte au milieu d'autres types de « guk » (le nom que l'on donne aux soupes en Coréen). Les ingrédients de base de ce breuvage magique varient selon les recettes mais on y retrouve généralement du sang coagulé de bœuf ou de porc (appelé « sundaeguk »), du chou chinois, des os de vache, de l'épine dorsale de porc et des légumes, pour le goût. Le tout est accompagné de riz (appelé « bap ») servi bouillant dans un « ttukbaeggi », une sorte de bol en faïence traditionnel non verni.

En fonction de l'endroit où l'on se trouve dans le pays, la recette change pas mal. Les régions de l'Est de la Corée du Sud trouvent par exemple plus chic d'ajouter du colin séché (riche en méthionine, un acide aminé bon pour le foie) à la soupe, alors qu'ailleurs, certains raffolent du supplément germes de soja (qui contient de l'asparagine réputée pour accélérer le processus d'élimination de l'alcool par le corps) – autant d'ingrédients aux goûts bien marqués qui garantissent aux noctambules alcooliques une redescente sans mal de crâne.

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Plus soju que Soja

Ce genre de potion magique peut donner l'impression de sortir tout droit des meilleurs grimoires de Poudlard. C'est presque ça : on a effectivement retrouvé des traces de recettes de haejangguk qui guérissent les abus d'alcool dans des vieux livres de recettes, qui datent du XIVe siècle. Il semblerait que les Coréens d'il y a 650 ans (ceux qui vivaient sous la dynastie Goryo) connaissaient déjà la définition du mot cuite : à l'époque, les Haejangguk étaient directement servis dans les tavernes le matin après la beuverie du soir. C'est amusant d'imaginer les rues d'un Séoul féodal, dans lesquelles les ivrognes moyenâgeux traînaient leur mal-être alcoolique exactement comme aujourd'hui.

Hyewon-Jusa.geobae

On retrouve également la trace de cette « soupe miracle » dans certaines peintures de genre du XVIIIe siècle qui dépeignent les scènes de la vie quotidienne dans des tavernes. Source : wikicommons.

Au XIXe siècle, on a l'idée de concocter ces soupes en grandes quantités puis de les conserver dans des récipients en terre cuite, les « onggi », afin de pouvoir les livrer aux notables de Séoul au petit matin, quand la cloche sonnant l'aube retentissait. De la nourriture anti gueule de bois livrée à domicile après une rude soirée dans des élégants packaging en terre cuite ? C'est dingue à quel point les Coréens ont réussi à inventer le probable futur concept de service de livraison d'UBER… 200 ans avant le futur concept de service de livraison d'UBER.

Plus tard, avec le développement des restaurants dans le pays, les soupes Haejangguk ont marqué l'avènement de la culture du « dining out » : c'est devenu le plat de prédilection des travailleurs et ouvriers qui aimaient s'envoyer quelques petits verres dans la tronche après une dure journée de labeur tout en s'assurant de ne pas trop être défoncés le lendemain matin.

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Cheongjinok est l'un des plus célèbres restaurants d'Haejangguk de Séoul. Il a ouvert en 1937 et continue encore de fournir les poivrots de la capitale depuis plus de 3 générations. Dans ce lieu légendaire, les os de bœuf sont laissé à mijoter durant plus de 24 heures afin d'obtenir un bouillon dans lequel on ajoute le riz, le sang coagulé de bœuf, les intestins, le chou et les oignons verts. Le plat ainsi obtenu s'appelle le Seonji Haejangguk. Dès l'aube le restaurant est assailli aussi bien par une horde de fêtards en perdition que par des locaux qui veulent juste déguster un petit-déjeuner qui tient plus au corps qu'un bol de frosties.

In Soju Veritas

Les restaurants qui servent la fameuse soupe sont d'ailleurs souvent utilisés comme lieu central de scènes post-alcoolémie trop importante dans les dramas coréens (voir l'épisode 3 de la saison 2 de « let's eat », une série fascinante dans laquelle la nourriture sert de lien social entre les personnages), mais aussi, évidemment, dans les films de Hang Sang Soo où l'adage « in soju veritas » prend tout sans sens. Actuellement, et même si on constate une diminution du nombre de restaurant dédié au Haejangguk à Jangro, le quartier de Séoul qui en abritait autrefois des dizaines, la soupe semble encore faire recette et résister à la concurrence des nombreuses boissons « anti-hangover » vendues dans les épiceries coréennes et dont les stars locales de K-Pop font la promotion. Parmi celles-ci, les 808 Dawn, dont l'inventeur a reçu l'une des plus hautes distinctions industrielles de Corée du Sud. Le nombre 808 fait référence au nombre d'expérimentations que les créateurs de cette boisson ont dû effectuer avant de trouver la bonne formule – à la différence du Haejangguk, cette « soupe » énergisante est vendue dans de nombreux pays.

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En France, la soupe reste encore très intimiste et il est très difficile de trouver des restaurants coréens qui font le pari de dédier leur carte exclusivement à ce plat. Mais qui sait, avec le développement de la cuisine coréenne dans notre pays et les nombreux barbecues coréens qui ouvrent un peu partout dans l'Hexagone, on ose espérer pouvoir déguster un jour cette « potion magique » en rentrant de soirée, éclatés.

Sérieux, je pense que si Jodeci était en fait un groupe de K-Pop, ils auraient sûrement appelé leur troisième album « The Show - The Afterparty - The Haejangguk ». J'imagine alors la gueule des clips, comme autant d'ôdes à l'ambiance très suave et R'n'B de Jodeci sous soju, avec des hordes de jeunes Coréens tous en train de cuver leur alcool, lunettes disproportionnées sur le nez et grosses fourrures d'origine animale sur le dos – il me suffirait alors de tremper mes lèvres dans un bol de Haejangguk et la boucle serait bouclée, je pourrai enfin mettre fin à cette drôle de ramasse qui me fait halluciner. Du moins, jusqu'à la prochaine soirée.

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Cet article a été initialement publié sur MUNCHIES en janvier 2016