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Feminisme

Pourquoi et comment les femmes deviennent des tueuses en série

« Lady Killers » retrace la façon dont les normes sexospécifiques ont façonné le traitement médiatique des meurtrières et explore les circonstances qui les ont poussées à tuer.
Photo via Wikimedia Commons

Cet article a été initialement publié sur Broadly.

En 2014, l’écrivaine Tori Telfer a rencontré pour la première fois le nom d’Élisabeth Báthory, une comtesse hongroise du XVIe siècle qui, selon la légende, tuait des vierges et se baignait dans leur sang afin de préserver sa jeunesse. C’est après ça que Telfer a eu l'idée de sa colonne, « Lady Killers », qui a fait ses débuts sur The Hairpin puis sur Jezebel. C’est aussi le nom de son premier livre, qui analyse l’histoire et le folklore derrière les tueuses en série les plus célèbres.

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En humanisant l’une des populations les plus déshumanisées au monde, Lady Killers nous apprend que Báthory était le résultat d'une consanguinité et avait subi des violences traumatisantes pendant son enfance. Promise en mariage à l’âge de 10 ans, c’est son époux Nádasdy et son amie Darvulia qui lui ont donné goût pour le meurtre et la torture. En outre, elle n’a probablement jamais pris de bain de sang. Ce mythe a persisté, explique Telfer, car il est plus simple de s’imaginer une femme vaniteuse plutôt que purement sadique.

Lady Killers montre comment les normes sexospécifiques ont façonné les rumeurs entourant les tueuses en série à l’instar de Lizzie Halliday qui, en grandissant, a fait l’objet de moqueries en raison de son apparence et s’est séparée de son fils de 12 ans après avoir fui un mari violent, et de Mary Ann Cotton, qui vivait dans la misère et a perdu quatre ou cinq enfants en bas âge. Au fil des chapitres, les lecteurs commencent à se sentir désolés pour ces criminelles – jusqu’à ce que Telfer rappelle leur manière de surmonter leurs difficultés.

L’écrivaine nous a expliqué pourquoi les tueuses en série sont, selon elle, incomprises. L’interview a été éditée par souci de clarté.

Kate Bender et Alice Kyteler, illustrées par Dame Darcy

VICE : Votre livre montre que les tueuses en série sont souvent négligées. Pourquoi pensez-vous cela ?
Tori Telfer : Les tueuses en série font l’objet de beaucoup d’attention lorsqu’elles sont arrêtées, mais les gens ont tendance à les oublier dès qu’elles sont enfermées. Sans doute parce qu’il est difficile à concevoir que des femmes puissent tuer elles aussi. Leurs crimes révèlent que les femmes ne sont pas toujours le « sexe doux » – et c'est désagréable voire carrément effrayant pour les gens de l'admettre.

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En quoi les réactions des gens envers les tueurs en série masculins et féminins diffèrent-elles ?
Si vous regardez la tradition du tueur en série, les assassins masculins sont ceux qui terrifient le plus les gens. En fait, les tueuses en série agissent souvent pendant plus longtemps que les hommes car personne ne les soupçonne d'être des tueuses. Dans mon livre, je soutiens que certaines tueuses, en particulier celles qui ne semblent apparemment pas menaçantes – comme Nannie Doss, la « mamie riant nerveusement » qui a déclaré avoir tué ses quatre maris pour « l’amour vrai » dans les années 1950 – ne font pas peur aux gens parce qu'elles opèrent sous le couvert de la normalité.

Ted Bundy, par exemple, n'a pas paru suspect au début parce qu'il avait l'air tellement « normal » avec son physique de jeune avocat suave et robuste. Nous avons une certaine idée de ce à quoi un tueur doit ressembler (typiquement un Charles Manson au regard fou, les cheveux en pétard et au tatouage horrible). Les femmes ne semblent pas effrayantes parce qu'elles ne ressemblent pas à des tueurs ; sur le plan social, nous ne sommes pas formés à considérer les femmes comme des menaces (et, bien sûr, les statistiques le justifient largement). C’est pour ça qu’elles s'en sortent si bien.

Avez-vous remarqué un modèle dans leurs façons et raisons de tuer ?
Il existe beaucoup de stéréotypes sur les tueuses en série : elles utilisent du poison, elles ont tendance à tuer des gens qu'elles connaissent (par opposition aux tueurs en série, qui recherchent souvent des inconnus), elles n’ont pas recours à une violence excessive et ne font pas dans l'exagération (mutilation du corps, etc.). Je présente toutefois quelques femmes terrifiantes dans mon livre qui vont pour ainsi dire à contre-courant.

Y en a-t-il une en particulier qui, selon vous, est mal comprise ?
Je pense qu’elles le sont toutes ! Pas mal comprises dans le sens, « dans le fond, c’était une bonne pâte ! » mais dans le sens : « C’était une femme compliquée, poussée au meurtre par une combinaison nuancée de l’inné et l’acquis – et qui, pourtant, a été réduite à un titre salace ou à un archétype comique. »

Sur quelle meurtrière avez-vous le plus aimé faire des recherches ?
Je me suis beaucoup amusée à faire des recherches sur Lizzie Halliday, car a) elle était assez imprévisible et b) l'Amérique était incontrôlable au tournant du XXe siècle. Les gros titres étaient tape-à-l’œil, la science était sommaire, et la prolifération des rumeurs irrépressible. Par exemple, quelques âmes courageuses ont émis l’hypothèse que Lizzie était Jack l'Éventreur.

Quelle a été votre plus grande surprise en faisant vos recherches pour ce livre ?
C'est horrible, mais j'ai trouvé des descriptions très détaillées de la mort par électrocution d'Anna Marie Hahn, la toute première femme à avoir été exécutée dans l'Ohio. Des journalistes ont été autorisés à assister à l’exécution et nous savons donc que le bruit de la chaise électrique était comparable à celui d’un « cierge magique » et que ses pouces se sont relevés en mourant. Le fait de lire des détails aussi saisissants sur la mort d'une tueuse m'a mise dans une position d'ambivalence intense, car j'étais à la fois furieuse contre elle et désolée pour elle. J'avais peur pour elle parce qu'elle a dû être terrifiée, mais en même temps, je ne pouvais pas m'empêcher de penser à la terreur ressentie par ses victimes. Mais bien sûr, il y avait l’écrivaine sans cœur au fond de moi qui disait : « Ces détails sont géniaux. »

Avez-vous éprouvé de la sympathie pour certaines ?
Beaucoup de mes lecteurs m'ont avoué avoir éprouvé beaucoup de sympathie et d'émotion pour les sages-femmes tueuses de Nagyrév, un groupe de femmes hongroises qui ont empoisonné leurs maris abusifs, leurs parents belliqueux, leurs beaux-parents ennuyeux et d'autres personnes qui rendaient leur vie misérable. Ces femmes étaient extrêmement désespérées et avaient très peu d’options pour s’en sortir. Elles étaient, en un mot, piégées. Contrairement à d'autres femmes décrites dans le livre, elles n’agissaient pas par soif de sang. Elles essayaient juste de trouver une sorte de liberté. Un scénario tragique, en somme, sous tous les angles.