Hard Rock Market Brussels
Victor Pattyn

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Music

Derrière les portes closes du Hard Rock Market

Si vous n’avez jamais mis un pied dans la boutique à la devanture mauve, vous n’êtes définitivement pas rock.
Marine Coutereel
Brussels, BE
VP
Brussels, BE

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Note de la rédaction : Nous avons inteviewé Anik en janvier 2018, la magasin a fermé trois mois plus tard. Anik vient juste de sortir un livre en hommage à la boutique, « Hard Rock Market » par Anik De Prins et Véronique Bergen, préfaces de Doro et Philippe Close. Disponible ici.

Combien sommes-nous à avoir traîné nos vieilles Doc Martens aux alentours de la Galerie Agora, à l’aube de nos quinze ans, recherchant un écusson de plus pour nos Eastpaks de bébés anarchistes tagués au Tipp-Ex ? Si vous avez fait partie de cette jeunesse en pleine expérimentation vestimentaire qui glandait au Mont des Arts, vos yeux dégoulinants de khôl ont nécessairement dû croiser ceux d’Anik. Nous l’avons rencontrée suite à l’annonce de la fermeture de son shop, le Hard Rock Market.

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VICE : Salut Anik, pour ceux qui ne connaissent pas, tu peux nous dire quelques mots sur ton shop ?
Anik : J’ai ouvert le magasin en 1975, ça fait 43 ans que je gère absolument tout toute seule. Au début, le magasin était situé un peu plus haut dans la rue, j’ai ouvert cette boutique-ci en 1991. J’ai fait ça par passion, pas du tout dans un but commercial. J’ai d’abord vendu des vêtements hippies, parce que je voyageais beaucoup et je ramenais des tissus d’Inde ou d’Amérique du Sud. C’est seulement fin des années 70 que le shop s’est tourné vers une atmosphère plus rock-métal. J’ai toujours suivi de près les tendances en matière de musique rock et je m’intéresse à tout, du coup le magasin est passé par plusieurs phases : punk, hard-rock, gothique…

J’ai appris que tu allais bientôt fermer. Qui va reprendre le magasin ?
J’ai été contactée par plein de gens, mais ils n’avaient pas un bal. Je veux quelqu’un qui va vraiment reprendre mon affaire, pas seulement la location de l’espace. Mais en ville les loyers sont très chers, pour beaucoup ce n’est pas envisageable d’avoir un magasin dans le centre de Bruxelles. Pour le moment, je n’ai pas encore trouvé de repreneur.

Quand tu auras trouvé un successeur, qu’est ce que tu vas faire ?
Ma deuxième passion c’est les animaux, donc je vais prendre le temps de m’occuper de ceux que j’ai chez moi. J’ai beaucoup d’amis actifs dans la protection animale, c’est un combat que je mène en dehors de ma passion pour le métal. À côté de ça, il y a mon rêve ultime : faire la croisière métal. C’est une croisière pendant laquelle des groupes jouent jour et nuit, c’est rempli de métalleux dans tous les coins, le paradis quoi. C’est mon plus grand rêve, je pense. Je n’ai jamais pu le faire parce que j’ai toujours dû être là pour le shop, tu vois c’est entre Miami et les Caraïbes, ça prend du temps et puis ça coûte cher.

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Pourquoi avoir choisi Bruxelles pour ouvrir ton shop ?
Je suis bruxelloise. Maintenant ça fait un moment que j’habite en périphérie, mais j’ai toujours aimé Bruxelles. À l’époque, c’était vraiment une bonne ville pour ouvrir ce genre de magasin. Je ne me suis jamais posé la question, c’était une évidence pour moi. Idéalement j’aurais bien voulu ouvrir un shop à Ibiza, parce que les gens y sont très libres d’esprit et personne ne te juge, mais quand j’y suis allée j’ai croisé des chiens faméliques dans les rues et j’ai flippé à mort, je me suis enfuie. J’avais aussi pensé à New York, mais les loyers étaient tellement chers que j’ai été encore plus effrayée qu’avec les chiens d’Ibiza.

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Du coup, on peut dire que Bruxelles est rock ?
Je n’irais pas jusque là. Y a pas vraiment de villes rock en Europe. Los Angeles doit être vachement plus rock, ça oui. Bruxelles non, pas spécialement rock. Mais on ne sait jamais, notre bourgmestre est très rock donc ça va peut-être changer ! À Bruxelles, j’adore le Magasin 4, une chouette salle où il y a pas mal de concerts alternatifs depuis des années. Il y a aussi le Zik-Zak, à Ittre. En général, c’est plus rock du côté néerlandophone que francophone… Je le remarque aussi dans ma clientèle, j’ai beaucoup plus de clients flamands. Je ne parle pas flamand, alors là pas du tout, mais ça n’a jamais été un problème.

En 43 ans, est-ce que tu trouves que la ville a changé ?
Énormément. On ne reconnaît rien. Y a de la bouffe et des restaurants partout. Il n’y plus que ça. Par contre ma clientèle n’a pas changé. Enfin si, justement, c’est plutôt la moyenne d’âge qui n’a pas bougé. Ceux qui entrent dans le shop ont toujours entre 16 et 20 ans. Souvent, mes anciens clients reviennent, mais c’est parce qu’ils se font tirer par leurs jeunes ados. Et avec l’âge, ils ne s’habillent plus du tout métal. Le boulot, la société, les contraintes… Il y a malheureusement peu de gens qui peuvent se permettre de ne pas avoir de contraintes dans la vie. Qui ne doivent pas rentrer dans un moule. Heureusement pour moi, mon travail m’a toujours permis d’y aller à fond, dans ma passion et dans mon look.

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Justement, pour toi, c’est quoi « être rock » ? Est ce que ça passe forcément par un look ?
Tu sais, je n’ai pas l’impression d’avoir un look, parce que je suis comme j’ai envie d’être, un point c’est tout. Je ne suis pas la mode, encore moins une mode. Si tu penses qu’être rock c’est une mode, alors c’est que tu n’as rien compris au rock. Les pop-stars qui s’affichent avec des t-shirts métal parce que c’est cool, c’est tout sauf rock. Je pense qu’être rock c’est un des seuls refuges de la liberté dans notre système. Maintenant tout est contrôlé et aseptisé, le rock c’est vraiment le seul endroit où on peut être libre et se positionner en dehors du système. Moi je me considère complètement en dehors du système, mais pas agressivement. Je n’adhère juste pas à ce conformisme qu’on veut nous imposer, cette démagogie qu’on veut nous faire avaler, je suis pour le fait de pouvoir exprimer ce qu’on a envie d’exprimer. Ce n’est presque plus possible aujourd’hui. Du coup, oui, mon look me permet de montrer silencieusement à tout le monde que je suis en dehors de ça, contre ça.

« Être rock, c’est un des seuls refuges de la liberté. Maintenant tout est contrôlé, aseptisé. Le rock reste le seul endroit où on peut être libre de se positionner en dehors du système. »

Est-ce que tu as déjà eu des mauvaises expériences, ici au magasin ou dans la rue ?
Malheureusement oui, il y a de plus en plus de jeunes qui viennent cracher sur la vitrine, dans la boutique, et qui viennent m’injurier. Ils disent que j’adore Satan, que je suis un démon, que le métal c’est une force du mal etc. Parce que tu vois comme je l’ai dit, le rock c’est un symbole de liberté, d’ouverture d’esprit, et certains ne supportent toujours pas ça. Ils ne comprennent pas. C’est comme les gothiques, ça a été un vrai génocide à un moment. Ils se faisaient frapper, déshabiller dans la rue… Je trouve ça hyper triste. Chacun devrait avoir la possibilité d’être comme il veut, sans avoir à se soucier de ce que les autres pensent.

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La musique, tu vois ça comme un clivage ? Tu aurais pu sortir avec quelqu’un qui écoutait du hip-hop, par exemple ?
Ah ça, non. Pour moi ça n’aurait même pas été envisageable. La musique n’est pas forcément un clivage, mais elle aide à créer des liens entre deux personnes. Si on choisit de vivre avec quelqu’un, on doit s’entendre sur ce sur plan-là, c’est la base. On doit pouvoir passer un CD sur les enceintes du salon et en profiter à deux. On doit pouvoir aller voir un groupe en concert. D’ailleurs c’est bien pour ça que je n’ai personne dans ma vie pour le moment. Il faudrait que le type soit métalleux, vegan, qu’il supporte une trentaine d’animaux chez lui à la maison. C’est pas évident d’en trouver un comme ça, qui accepte tout ça. C’est pour ça que je suis très bien toute seule, en mangeant ce que je veux manger, en allant aux concerts auxquels je veux aller. Je vis ma vie.

Tu dis être vegan, comme pas mal de métalleux. Est-ce que tu te rattaches au mouvement straight-edge ?
Je suis totalement anti-drogue, anti-cigarette et anti-alcool. C’est un choix de vie mais pas une adhésion à un mouvement en particulier. C’est simplement une démarche personnelle dans la recherche du dépassement de soi. Je suis contre toute forme d’aliénation. Ma seule drogue, c’est la musique.

Quand j’ai parlé de toi à ma mère, elle a tout de suite évoqué ton shop avec nostalgie. Tu as conscience d’être une sorte de légende vivante en Belgique ?
En toute modestie, oui. Je me fais souvent interpeller dans la rue. En même temps, c’est vrai que pour passer inaperçue, c’est plutôt raté. Je me rappelle être au Graspop. J’ai voulu aller chercher à boire au bar et j’ai mis trente minutes pour faire vingt mètres. J’étais agrippée tout le temps « Hé Anik ! Et ton magasin, comment ça va ? », etc. Mais c’est toujours hyper sympa hein, je ne me plains pas. C’est comme ça que j’ai pu rencontrer les plus grands.

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Sur les photos, on peut te voir avec Bruce Dickinson, Dio, Johnny… Comment as-tu construit ce réseau ?
Ça fait plus de 40 ans que je vais de concert en concert, et je ne te parle pas d’un concert par mois hein, plutôt quatre voire cinq par semaine. Au départ, j’étais backstage avec un groupe, je rencontrais les autres groupes après le concert, on faisait connaissance, on discutait et finalement je devenais backstage avec eux. Et ainsi de suite. Puis un jour tu te réveilles et Dio est devant ton magasin ! C’est un cercle vicieux. Non, un cercle vertueux ! Et c’est super chouette.

Voir toutes tes idoles s’en aller les unes après les autres, ça ne te fait pas mal au cœur ?
Oui, c’est terrible. C’étaient des amis. Il y a eu Johnny dernièrement. Tu sais qu’il est venu ici ? Je pense que le pire ça a été quand Kurt Cobain est mort. Peut-être aussi le chanteur de Linkin Park. A ce moment-là, tu vois une grosse demande pour les t-shirts, ça me met un peu mal à l’aise, mais c’est le jeu. Par contre quand Lemmy est mort, j’ai continué à vendre les mêmes articles que d’habitude, je n’ai pas acheté tout le merchandising autour de sa mort, ça me faisait vraiment de la peine, et je trouvais ça atroce de m’enrichir là-dessus. Bien sûr, les autres ne s’en sont pas privé, mais moi je ne pouvais pas.

Tu penses que l’âge d’or du rock est derrière nous ?
Oh non. Il y a plein de nouveaux groupes vraiment bons. Comme ma clientèle a toujours moins de vingt ans, je suis obligée de me tenir au courant et de suivre un peu ce qu’ils écoutent, sinon le shop n’a plus lieu d’être. Si ils me demandent un groupe, je dois savoir quels sont les autres groupes qui sont dans le même genre, ceux qu’ils sont susceptibles d’aimer. Si ils me demandent Suicide Silence je vais pas leur dire « Ah mais j’ai Pink Floyd si vous voulez ! »

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Ç a n’a pas été difficile d’être une femme dans ce milieu ?
Pas du tout. Je pense que c’est un peu une légende cette idée comme quoi les femmes et le métal, ça ne colle pas. Bon, d’accord, aux concerts il y a beaucoup plus de mecs que de gonzesses, mais c’est parce que les femmes en général restent à la maison pour s’occuper des gosses, cuisiner etc. Mais à partir du moment où t’es pas dans ce trip-là, il n’y a aucune raison pour qu’une femme qui aime la musique n’aille pas s’éclater à des concerts, même si c’est rempli d’hommes ! Certains associent trop vite métal et violence, alors que, comme le rock en général, c’est un symbole de liberté. Puis il y a des femmes légendaires dans le rock : Doro Pesch, Girlschool, Rock Goddess… C’est pas qu’une affaire de mecs !

Bon et au final, tu fermes quand exactement ?
Je ne sais pas vraiment. C’était prévu pour septembre, puis décembre, puis janvier, et tu vois je suis encore là à discuter ! C’est difficile, c’est toute une partie de ma vie que je dois laisser derrière moi. Du coup, je repousse, je repousse. Le bourgmestre voulait même barricader toute la rue et organiser un évènement pour la fermeture, ça m’a fait super plaisir, mais je lui ai dit que c’était un peu trop !

Avec un gros drapeau de Cradle of Filth accroché sur l’Hôtel de Ville ?
Non, lui, il est plutôt Motörhead !

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