Slack est-il conçu pour nous pourrir davantage la vie de bureau ?

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Slack est-il conçu pour nous pourrir davantage la vie de bureau ?

De Slack à HipChat, les nouvelles chatrooms professionnelles ont envahi nos bureaux. Mais elles font sans doute plus de mal que de bien.

Vous êtes au bureau, et vous vous rassemblez dans une salle de réunion en compagnie de vos collègues afin de discuter d’un projet important. Vous commencez à poser les bases de la discussion quand soudain, huit personnes se mettent à parler en même temps sans s’écouter le moins du monde. C’est le chaos complet. Vous avez envie de mourir.

Bienvenue dans l’univers radieux des applications de conversations groupées à usage professionnel.

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Slack, HipChat, Flowdock et bien d’autres se sont taillé une place de choix dans les entreprises du monde entier, lançant des promesses plus optimistes les unes que les autres pour améliorer la communication et de la collaboration au sein des équipes. Slack est pour le moment le leader du marché : il a multiplié sa croissance par 33 en 2015, et aurait rassemblé en 2017 plus de six millions d’utilisateurs actifs chaque jour.

Pourtant, avec l’usage, on peut se demander si les conversations de groupes n’ont pas l’effet inverse à celui recherché, en générant un stress supplémentaire chez les employés qu’elles étaient sensées soulager.

La plupart du temps, elles sont effectivement plus anxiogènes que réellement efficaces, explique Jason Fried, co-fondateur de Campfire, lancé en 2006. En tant que dirigeant d’entreprise ayant tout à gagner d’un accroissement de l’efficacité de ses équipes, on pourrait croire que le succès des outils de conversations groupées le réjouit au possible. Pourtant, selon son expérience, ces applications épuisent les employés.

« Les chatrooms professionnelles ne fournissent aucune structure. Elles n’améliorent pas la tenue de la conversation, » explique Fried dans une interview. « Ce sont des sortes de tapis roulants sur lequels on jetterait des idées au hasard. »

Si vous avez déjà utilisé Slack et consorts au boulot, cette situation vous est sans doute familière : vous lancez une idée dans la room, puis quelqu’un en évoque une autre, qui a peu ou pas de lien avec votre première remarque. Après plusieurs interventions, le sujet de la conversation a tellement dévié que c’est comme si vous n’étiez jamais intervenu. Quelqu’un réclame finalement un résumé de la situation, mais personne n’est capable d’en ébaucher un. L’échec est complet. Il n’en résulte qu’un GIF de chat qui danse.

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Perdre le contrôle d’une conversation dont le sujet était pourtant bien défini au départ peut être assez dramatique pour l’efficacité de l’équipe. Comme Fried l’explique dans un post Medium, « le support lui-même encourage le désordre, puisque n’importe qui peut débarquer dans la conversation, intervenir, sans cette discipline qui émerge habituellement lorsque les personnes sont en face les unes des autres. Une réunion est rarement améliorée par l’utilisation de la messagerie instantanée. »

Pire, le phénomène FOMO (la peur de manquer quelque chose, fear of missing out) est renforcé quand le nombre de notifications augmente. Si votre boite mail remplie de centaines de messages non lus soulève déjà chez vous des vagues d’anxiété, attendez seulement que Slack sonne de manière interrompue au rythme des conversations de vos collègues.

Fried pense que les chatrooms sont « les pires endroits du monde pour prendre des décisions, pour aboutir à un consensus, ou simplement pour avoir une discussion claire et efficace. » Il les compare aux shot clocks en basketball : vous disposez d’un intervalle de temps réduit pour intervenir avant que la conversation ne glisse vers autre chose, sans vous.

Les impressions de Fried font écho aux réflexions de Samuel Hulick sur Quartz. Il a récemment décidé de ne plus utiliser Slack : « Tenter de suivre des dizaines de tâches et de conversations en même temps requiert une présence ubiquitaire, façon Skynet. Je n’en suis pas capable. Ces applications ont démultiplié les problèmes de communication en rendant la communication obligatoire en permanence. »

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En l’occurrence, les applications de conversations groupées sont obsédées par l’idée de succéder au système d’emails que nous connaissons aujourd’hui, explique Sean Regan, responsable du développement de HipChat. Il affirme cependant que son entreprise ne fait pas partie de celles qui veulent absolument tuer l’email dans l’œuf pour réaliser le fantasme de la communication en flux continu et de l’Inbox Zero. HipChat préfèrerait un modèle de complémentarité chat/email.

Tout cela nous rappelle que l’email est utilisé pour trois tâches principales : la gestion et le suivi des tâches, l’édition, et l’envoi de messages. « Si nous créons un nouvel outil qui propose seulement une nouvelle manière d’envoyer des messages, nous allons répéter les mêmes erreurs que nous avons commises avec l’email. Il faudrait d’abord travailler à améliorer ce dernier. »

En fin de compte, tout passe par le produit lui-même, et non par le comportement de l’utilisateur. Fried conclut ainsi dans son post Medium : «… finalement, les gens sont épuisés et incapables de garder le rythme qu’on leur impose. C’est la faute de l’outil, pas de l’utilisateur. Si le design de l’outil induit le stress et l’anxiété, c’est un mauvais design. »

Cet article a été initialement publié sur Motherboard France

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