À Matongé, la Roumanie rencontre l’Afrique

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À Matongé, la Roumanie rencontre l’Afrique

J'ai trouvé des Sarmale (spécialités roumaines) perdues dans le menu du Cap Africa, un restaurant Africain de Matongé. J’ai voulu comprendre pourquoi.

Peu de temps après avoir fui le communisme pour s’installer en France, mes parents m’ont eue. J’ai hérité d’un fort accent Roumain dès mes premiers mots, alors que je n’avais jamais mis un pied dans le pays. Malheureusement je l’ai perdu peu après les maternelles.

Je ne disais peut-être plus « oune » à la place de « un », mais la transformation de mon petit être avait déjà commencé. Où que j’aille, je suis peu à peu devenue ambassadrice de la Roumanie. Je donnais des cours de géographie très approximatifs à qui voulait bien l’entendre et j’ai appris prématurément à utiliser le sophisme pour gagner des débats sur le nombre injustement exagéré de caravanes dans mon pays d’origine, comme si j’en savais quelque chose.

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Il y a peu, alors que je m’apprêtais à déguster un plat étudiant sur la terrasse du Cap Africa, situé rue de Longue-Vie, mes yeux ont parcouru le menu et ont stoppé net quand j’y ai vu les fameuses Sarmale (sorte de choux farci avec de la viande et du riz qu’on mange pour les occasions spéciales en Roumanie). C’est alors que la partie de mon âme qui peut être confondue avec un office du tourisme itinérant est revenue au galop. Après m’être lancée dans un discours sur les similitudes incroyables entre des cultures qui ont l’air si éloignées, et sur le possible soft-power très discret (et sublime) de la Roumanie, Lucrézia, la gérante du Cap Africa, m’a remis en place pour le plus grand plaisir de mon communautarisme mal placé.

VICE : Hello Lucrezia, comment t’es tu retrouvée gérante d’un restaurant Africain ?
Lucrezia : Je suis arrivée de Roumanie en 2009 pour rejoindre mon mari qui travaillait déjà au Cap Africa. J’ai directement intégré l’équipe du restaurant en tant que serveuse.
Deux ans plus tard, après quelques semaines de congé, on revient et le patron, un Belge assez raciste, avait mis la clé sous la porte. Ça ne marchait pas et il n’en pouvait plus.
À ce moment là, après avoir réfléchi à en faire un restaurant Roumain, on a décidé de récupérer le Cap Africa tel quel. On s’est dit que les gens ne venaient pas à Matongé pour manger de la nourriture d’Europe de l’est.

Tu t’es acclimatée facilement au quartier ?
Au début c’était assez difficile, même si je connaissais déjà bien le coin. Le quartier était encore assez dur, maintenant la rue de Longue Vie est beaucoup plus cool.
Le seul problème persistant, c’était les autres gérants des restaurants voisins. La concurrence est assez rude et on doit faire face à des rumeurs et des coups-bas. La dernière fois, des clients sont arrivés en me disant qu’ils avaient entendu par la patronne d’un autre restaurant que le Cap Africa était un endroit très sale; je leur ai fait faire un tour en cuisine et les ai emmenés dans la chambre froide. Depuis, ils reviennent manger ici parce qu’ils ont bien vu que tout est nickel.

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Est-ce que les clients trouvent ça bizarre de te voir gérer un resto Africain ?
Oui, je pense que les clients se posent des questions, il y en a quelques-uns qui me demandent. En général, je leur explique qu’on a eu un super cuisinier togolais qui nous a énormément aidé, il nous a appris pleins de trucs. Maintenant il est parti, mais le cuisinier roumain qui travaille avec nous en ce moment suit ses recettes à la lettre. Les gens viennent ici pour manger, et si c’est bon et frais, je ne vois pas en quoi ça pourrait poser problème.

Le cuisinier roumain, c’est ce qui explique la Roumanian Touch du menu?
Non, les Sarmale, c’est parce que je trouvais ça cohérent. C’est du chou, du riz et de la viande, trois ingrédients qui dépaysent pas trop le menu, qui se marient bien avec le reste. D’ailleurs, je pense que ce mix entre cuisine africaine et roumaine fonctionne assez bien parce qu’on est deux peuples gourmands, on aime manger des trucs bons et bien gras. Puis on aime la viande, que ça soit poulet ou chèvre. Chez moi, je cuisine pas ce qu’on prépare au restaurant mais je mange ici presque tout les jours et mon palais et moi, on s’y est habitués très facilement. Dans les mois qui viennent on va accentuer ce lien en ajoutant d’autre plats roumains comme accompagnements dans le menu. Comme de la Tochitura de Carne (une sorte de ragoût avec pleins de légumes) ou de la salade de poivrons grillés (le meilleur truc du monde ndlr). Je pense que ça peut marcher, c’est tellement bon, les gens ne se poseront même plus la question de la provenance de la recette.

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Est-ce qu’il n’y a que des roumains qui commandent des Sarmale ?
Non, pas que mais c’est vrai qu’il y en a beaucoup. Si j’ai des clients roumains, ils me demandent souvent de la Mamaliga comme accompagnement (c’est de la polenta servie avec de la crème fraîche et du fromage). C’est pas dans le menu mais on peut leur faire ça en une seconde. Sinon le public cible des Sarmale varie, il y a des clients curieux et pas mal qui pensent qu’ils commandent un plat Africain… En même temps c’est logique tu vas me dire.

Après avoir bu ses paroles et avalé mes Sarmale, j’ai remercié tout haut Lucrézia pour cette chouette discussion et dans ma tête, la petite voix patriotique à remercié tout bas la Roumanie pour sa mer, ses montagnes et sa délicieuse nourriture.

Pour plus de Vice, c’est par ici.