Au Moyen-Orient, la sexualité se libère grâce à TWOO, une app belge
Moamed en Nasim poseren voor het iconische vrijheids-monument in Teheran

FYI.

This story is over 5 years old.

Sexe

Au Moyen-Orient, la sexualité se libère grâce à TWOO, une app belge

L’application de dating gantoise TWOO nous apprend entre autres que les rencontres purement sexuelles sont moins décriées en Arabie Saoudite et en Iran qu'en Belgique.

Les Hollandais admettent qu’ils sont de plus grands menteurs que les Belges. Aussi bien les Russes que les Américains considèrent les discussions politiques comme taboues – environ quatre personnes sur dix dans les deux pays évitent spontanément le sujet. Quatre Américains et Saoudiens sur dix remettent en cause l’existence des dinosaures. La moitié des Japonais ne supportent pas les fautes d’orthographe, les Norvégiens ne conduisent jamais ou quasi jamais sous influence et 82% des Turcs ne pensent qu’il est normal d’être poursuivi en justice pour avoir brûlé le drapeau national.

Publicité

Ces données n’ont pas été recueillies par un institut de recherche, mais bien par une application de rencontres, principalement utilisée au Brésil, en Inde et en Arabie Saoudite. Ce qui est encore mieux, c’est que l’application en question est l’œuvre de quelques dizaines de Gantois, qui sont donc parvenus à installer la culture du dating au Moyen-Orient. Une croisade amoureuse numérique où Tinder perd le contrôle.

Cette application belge se prénomme TWOO et a déjà généré 187 millions de téléchargements à travers le monde, soit plus d’une fois et demie les chiffres de Tinder. Parmi les utilisateurs actifs, on compte trois millions de Saoudiens (soit un habitant du royaume sur dix), 9,5 millions d’Indiens et plus de 300 000 Iraniens.

La raison de ce succès ? Prenons l’exemple de Nasim (26 ans) et Moamed (25 ans), jeune couple de Téhéran qui vient de se rencontrer grâce à l’application. Les parents et amis de Nasim prétendent ne pas être religieux et avoir horreur de la prétendue toute-puissance du clergé. Mais cela ne change pas vraiment le carcan culturel dans lequel la majorité des femmes sont coincées. « Tous les soirs, je dois rentrer à neuf heures à la maison », nous explique Nasim, ingénieure civile et, selon les normes iraniennes, actionnaire dans une entreprise de construction internationale, « et ce jusqu’à ce que je sois mariée ».

« Les rumeurs disaient que nous étions des filles de mauvaise vie, le genre de filles qui sort, danse, boit, et surtout qui fréquente les garçons »

Publicité

Nasim a d’abord vécu seule avec sa sœur dans un autre quartier de la ville, mais a décidé de revenir vivre chez elle quand elle a vu à quel point ses parents souffraient des rumeurs répandues sur leur compte par les autres membres de leur famille et les habitants locaux.

« Les rumeurs disaient que nous étions des filles de mauvaise vie » dit Nasim, « le genre de filles qui sort, danse, boit, et surtout qui fréquente les garçons. Que nous ne serions bientôt plus vierges. C’était surtout cette dernière affirmation qui était insupportable pour mes parents, alors j’ai décidé de revenir vivre avec eux. » Même au sein de son propre cercle d’amis, Nasim ne mentionne pas qu’elle n’est plus vierge. « Vous courez alors le risque d’être catégorisée, peut-être pour le restant de votre vie. »

S’offrir « à vendre » sur Tinder, dit Nasim, « c’est un carrément un suicide social pour une femme. Imaginez si des connaissances ou des membres de votre famille le découvrent. » Mais soyons clairs : ce que Moam, son copain, fait de sa vie, qu’il soit vierge ou qu’il ait déjà eu de nombreux partenaires, personne ne veut savoir. Le comportement et le passif amoureux des garçons, ça reste une affaire privée.

Et ce contexte culturel tendu, c’était du pain béni pour TWOO. Beaucoup de jeunes en Iran se détournent de la religion, ce qui fait que les applications musulmanes comme Shaadi.com – où vous devez entrer les données de toute votre famille – ou Salaam Swipe – où vous entrez à quel point vous êtes fanatique – ne sont pas exactement bien accueillies. TWOO offre, principalement aux femmes, une sorte d’issue de secours grâce à son slogan simple et innocent : « Je veux juste me faire de nouveaux amis. »

Publicité

Et ça a parfaitement fonctionné pour Nasim et Moamed : ils racontent partout que leur soi-disant rencontre innocente sur TWOO a doucement mené à une belle histoire amour. La stigmatisation de leur relation serait trop grande pour être acceptée par tout le monde, même si ladite relation était l’intention de base. TWOO est devenu un laissez-passer culturel.

« L’innocence du slogan est beaucoup utilisée dans des pays comme l’Arabie saoudite et l’Inde, où elle sert d’alibi pour justifier son utilisation » , déclare le PDG Joost Roelandts au siège de TWOO à Gand. Mais il est important de spécifier que le fait de fournir un alibi n’a jamais été l’intention originelle de l’application. Plus de la moitié des utilisateurs dans le monde indiquent d’ailleurs qu’ils utilisent cette application uniquement dans le but d’apprendre à connaître virtuellement de nouvelles personnes ou pour engager une conversation avec des inconnus, en particulier les personnes de 30 à 55 ans pour qui faire de nouvelles rencontres devient plus compliqué.

« La législation du pays peut également jouer un rôle. Dans certains endroits, il est interdit de créer ou même d’utiliser des plateformes de rencontres. »

Mais au Moyen-Orient, il s’y passe clairement plus que de simples rencontres amicales. « Nous parlons de ces pays où le fait d’apprendre à connaître de nouvelles personnes dans le but de sortir avec eux reste quelque chose d’inhabituel », explique Roelandts. « La législation du pays peut également jouer un rôle. Dans certains endroits, il est interdit de créer ou même d’utiliser des plateformes de rencontres. »

Publicité

En Iran, aucun couple ne peut être arrêté à cause d’un simple date, mais les garçons et les filles saoudiens peuvent eux être mis derrière les barreaux s’ils sont attrapé pendant qu’ils fricotent. Bien que Tinder et d’autres applications de rencontres passent souvent à travers les filets juridiques, il est toujours plus safe de se cacher derrière un slogan innocent afin de ne pas tomber entre les mains de la police.

Notre recherche à travers les utilisateurs saoudiens fait défiler devant nos yeux des centaines de profils de femmes qui se présentent comme mannequins. Décolleté profond, yeux, sourcils et lèvres fortement maquillés. La plupart des hommes gardent eux le look tribal, s’affichant avec un foulard à carreaux rouge et blanc. Ce scroll incessant nous a ouvert une conversation avec Fadia (27) de Riyad. Elle est diplômée en médecine, à la recherche de dates et éventuellement d’une relation via l’application, pour le moment sans succès.

« Notre pays si situe dans un tournant de son histoire », nous explique-t-elle. « Depuis quelques années par exemple, les hommes célibataires sont autorisés à entrer dans un centre commercial sans un membre de leur famille pour les accompagner. Depuis l’année dernière, des célébrités d’ici et d’ailleurs peuvent se produire en concert. Mais le dating est quant à lui toujours à la traîne. La plupart des discussions que j’ai commencent toujours par une proposition de mariage, ou avec de simples échanges à caractère sexuels et des propositions de rencontres rapides à l’hôtel. Pour une raison ou pour une autre, beaucoup d’hommes continuent à voir les femmes comme des objets de luxure, des femmes au foyer ou des machines de reproduction, et ce même dans les cercles ouverts d’esprit au milieu desquels j’évolue. »

Publicité

« Tout le monde sort ensemble et les normes traditionnelles sont jetées par-dessus bord. Pourtant, personne n’en parle, la peur est encore trop grande »

« Avec tous les changements qui se produisent aujourd’hui, la plupart des gens se trouvent dans un état de confusion », ajoute-t-elle. « Tout le monde sort ensemble et les normes traditionnelles sont jetées par-dessus bord. Pourtant, personne n’en parle, la peur est encore trop grande. Je pense que c’est la principale raison du succès de TWOO dans ce pays : mieux vaut prévenir que guérir. »

L’équipe de Gand, située à environ 6000 km à l’ouest de la capitale saoudienne, connaît bien les mœurs changeantes du pays de La Mecque et de Médine. Des tests récents menés sur l’audience saoudienne indiquent que pour 28 pour cent des membres de la base de données, l’application a pour but principal le dating pur et simple. Mais compte tenu de la réticence du gouvernement à faire face à cette réalité, il n’y aura pour le moment pas d’option officielle de rencontres amoureuses dans la version saoudienne de TWOO.

Selon Lien Louwagie, porte-parole de l’entreprise et impliquée dans le développement de TWOO depuis le début, il y a encore d’autres raisons pour lesquelles l’application s’intègre parfaitement dans l’ADN culturelle du Moyen-Orient : « Sur une application comme Tinder, l’investissement personnel est trop petit. La connexion prend trois secondes et les autres utilisateurs peuvent commencer à vous évaluer en fonction de votre apparence physique. C’est trop superficiel et ne s’intègre pas bien dans ce genre de cultures. »

Publicité

TWOO vous donne l’occasion de confronter les opinions de l’autre personne à vos propres valeurs. « Nous avons un répertoire qui contient 2000 questions pour trouver le meilleur match possible », explique Louwagie. « Quelle importance à la religion dans votre vie ? Quelle est votre préférence politique? Que pensez-vous des contraceptifs ? Au Moyen-Orient, il y a des questions qui comptent plus dans une relation que ce qu’on peut imaginer. »

Ce sont ces questions, auxquelles ont répondu des dizaines de millions d’utilisateurs, qui fournissent à l’équipe de Gand des informations qui rendent vert de jalousie les sociétés de sondages. Bien que les différences soient minimes, plus d’Iraniens (12%) et de Saoudiens (13,2%) que de Belges (11,6%) estiment que les femmes ne devraient pas se raser les jambes. Et malgré une interdiction totale de l’alcool et les douzaines de coups de fouet comme punition, plus d’Iraniens (28,4%) et de Saoudiens (36,5%) que de Belges (13,3%) admettent qu’ils se retrouvent parfois derrière le volant en état d’ébriété.

Encore plus parlant : malgré l’approche réductrice et encadrée de la sexualité (en particulier de la sexualité féminine), plus de la moitié des Iraniens n’ont absolument rien contre les rencontres purement sexuelles. Le Saoudiens se trouvent juste en dessous sur cette échelle de tolérance sexuelle (45%). En comparaison avec notre Occident si « libre » : deux Belges sur trois émettent des objections morales face à ce genre de comportement. Les Hollandais, en tant qu’auto-proclamés libres penseurs, font encore pire que les Saoudiens : à peine quatre sur dix considèrent les rencontres purement sexuelles comme correctes. Mais parvenir à expliquer les raisons de ces dissonances entre l’Orient et l’Occident, on laisse ça aux anthropologues.

Les noms de Moamed, Nasim et Fadio ont été modifiés à leur demande.

Pour plus de Vice, c’est par ici.