Dans le donjon d’un chef d’entreprise BDSM
Franck et L'O10. Toutes les photos sont de l'auteure

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BDSM

Dans le donjon d’un chef d’entreprise BDSM

Franck accueille régulièrement son cercle de soumises dans un donjon situé en Belgique, à la lisière de la frontière française.

« Mon esclave est là, mais je te préviens, elle est dans sa bulle. Surtout, parle-lui comme à un être humain », me susurre Franck*. Cet homme, chef d'entreprise dans le milieu du BDSM, est l'un des seuls fabricants européens à proposer des accessoires personnalisés et sur mesure. « L'esclave » à laquelle il fait référence fait partie de son cercle de soumises – elle vient régulièrement lui rendre visite dans sa demeure située en Belgique, à la lisière de la frontière française. Franck, âgé d'une cinquantaine d'années, coule des jours tranquilles avec sa compagne – laquelle ne voit absolument inconvénient à le laisser exercer sa domination sur ses soumises. Le couple pratique le BDSM et est fasciné par l'art de la domination. Ils me confient ne plus avoir de rapport sexuel : « Nous sommes comme deux aimants qui se repoussent. On a bien essayé de le faire, mais ça ne marche jamais. Maintenant on fait nos trucs chacun de notre côté avec nos esclaves, et on est bien comme ça », m'explique Franck. Comme la plupart des maîtres BDSM, Franck, baptisé L'Raiser dans le milieu, collectionne les « dominées ». Alors qu'il recevait sa soumise la plus régulière, il a accepté de me faire passer une journée avec eux. Il me précède jusqu'à sa caravane nichée dans le fond du jardin. Son « petit coin à lui », comme il le surnomme. Derrière la porte, L'O10 l'attend. Elle est accroupie, les poignets et chevilles entravés, et le visage camouflé derrière un épais masque de cuir. L'O10, qui travaille à Paris, est peu loquace sur le sujet. Ils se sont rencontrés il y a quatre ans, à la faveur d'une commande, passée sur son site de vente en ligne : « Je lui ai commandé un collier de soumise gravé à mon nom, mais il y a eu une erreur. Je suis passée chez lui pour lui rapporter. J'ai senti tout de suite qu'il se passait quelque chose. Je savais que je voulais qu'il soit mon maître. On a commencé l'initiation », se souvient-elle. Pendant quatre jours, la jeune femme va devoir faire preuve d'une servitude inconditionnelle : « Il m'a enfermé dans un cachot dans sa cave, dans le noir. On venait simplement me donner à manger. J'étais bien. Tranquille. Je ne pensais plus à rien. Je ne savais pas quand on allait venir me libérer, mais ça ne me dérangeait pas. À la fin il m'a ouvert la porte et je suis partie. Il n'y a pas eu de sexe », se souvient-elle.

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L'O10 voue un culte à son maître. Elle le vouvoie, lui baise les pieds, l'appelle « Monsieur », et s'est fait tatouer le mot « slave » [esclave] sur le pubis, en signe de dévotion. « Il est tout pour moi. Mon ami, mon amant, mon professeur. Je lui donnerai tout. J'obéirai à tout. Je ne me vois pas sans lui », résume-t-elle. Tous les vendredis, elle vient de Paris pour rejoindre son maître. « Quand elle arrive, elle se change. Parfois elle a le droit de choisir sa tenue, parfois c'est moi qui lui impose », souligne-t-il. Au fil du temps, leur relation s'est ritualisée. « Je commence systématiquement à lui laver les mains, j'adore le faire. Quand je ne le fais pas je ne me sens pas bien. Puis généralement, je lui masse les pieds. Après je ne sais jamais trop à quoi m'attendre, mais je sais que je dormirai dans ma cage le soir », poursuit L'O10. Si tous les week-ends ne sont pas nécessairement rythmés par le sexe, la relation « dominant-dominé » demeure inexorable : « Il y a des fois où on ne baise pas, mais ça reste mon esclave. C'est un exutoire, ça me libère. J'ai toujours aimé avoir le contrôle sur quelqu'un », précise Franck. L'O10 trouve aussi un côté salvateur à cette situation. Elle m'explique aimer vivre sous le joug de son maître et répondre à toutes sortes d'injonctions sexuelles : « J'ai beaucoup de responsabilités au boulot. Ça m'aide à évacuer le stress accumulé. Quand je suis ici, j'oublie tout ». D'abord soumise, la dominée s'est offerte en esclave. Elle a renoncé à sa liberté pour s'en remettre exclusivement à son maître : « Je ne peux rien lui refuser, sexuellement ou non », lâche-t-elle laconiquement. « Le but est justement de lui apprendre à aimer les choses qu'elle n'aime pas », poursuit son maître. Par exemple ? « Au début elle n'aimait pas la sodomie, mais elle sait que j'adore ça. On y est allé doucement, et aujourd'hui je sais qu'elle aime ». L'intéressée acquiesce. L'Raiser souhaite me prouver la soumission indéfectible de son esclave.
Il lui ordonne de se pencher et saisit un plug anal. Elle s'exécute. Il l'insère. Silencieusement, la jeune femme lui baise les pieds avant de remercier son maître et se redresser. « C'est ça aussi le BDSM ! La confiance », déclare L'Raiser. « Elle ne savait pas ce que j'avais dans les mains et pourtant, elle a fait ce que je lui ai dit. »

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Une fois le seuil de la caravane franchi, les adeptes récupèrent leur patronyme, le temps d'un cinéma, d'une balade ou d'un restau : « On ne passe pas notre temps à ça, même si c'est la relation qui nous lie. On sort comme tout le monde, on fait des choses comme tout le monde », note-t-il. Malgré son métier chronophage, L'O10 ne néglige jamais son maître. Matin et soir, elle lui adresse un petit mot sur FetLife, le réseau social dédié aux adeptes du BDSM : « C'est une manière de lui montrer que je pense à lui, qu'il est toujours mon maître, même si je ne suis pas à ses côtés ».

La maison de Franck renferme une pièce où seuls les initiés sont autorisés à pénétrer. Un vaste donjon de 100 m 2, situé au dernier étage. Un genre d'eldorado du sexe hard-core où les esclaves du couple y ont les honneurs. L'O10 et son maître y avaient leurs habitudes, avant de lui préférer l'intimité de la caravane : « On y va de temps en temps, mais j'aime bien avoir mon petit espace. Par contre, ma femme s'en sert souvent », lâche-t-il.

L'ambiance gothique est moite et feutrée. Sur les murs, les cravaches, les martinets et les fouets sont légion. Une croix de Saint-André y a aussi pris ses quartiers. À l'arrière du donjon, une porte dissimulée mène vers une autre pièce, presque lugubre. Le propriétaire y a installé un faux bloc opératoire, assorti d'instruments chirurgicaux, et d'une vitrine foisonnante de godes et de plugs. L'Raiser se veut rassurant : « T'inquiète pas, la majeure partie des choses que tu vois, c'est pour le décor. Et je fais aussi quelques piercings de temps en temps ».

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L'Raiser jouit de sa petite notoriété dans le cercle très fermé du BDSM. D'abord, parce qu'il y travaille, mais aussi parce qu'il aime choquer : « Je passe pour un taré aux yeux des autres parce que je fais ce que je veux. J'ai tout fait. Tout. La plupart des adeptes sont dans le BDSM pour l'image, moi j'y suis parce que j'adore ça. » Lors de soirées privées, le BDSM est soumis à un protocole rigoureux, permettant de distinguer le statut de chacun. Mais L'Raiser est réputé pour s'affranchir des convenances. « Tout est très codifié. On reconnaît les esclaves et les soumis(es) parce qu'ils ont un collier différent, une posture différente. Les hommes dominants doivent aussi jouer le jeu en adoptant un comportement de maître. Et on doit porter un costard. Tu m'as vu, j'ai vraiment une gueule à porter un costard ? Tout ça, c'est de la branlette ! », s'amuse-t-il. S'il fréquente de moins en moins les soirées libertines, il en organise de temps à autre chez lui, afin de se livrer à des démonstrations avec ses dominées. Comme souvent, c'est L'O10 qui récolte les faveurs : « On classe nos esclaves par ordre de préférence. L'O10 est ma numéro un, c'est marqué sur son collier. Forcément, mon attention va se tourner plus vers elle. Par exemple, je vais la fouetter plus, et plus fort pour que les autres comprennent que c'est ma favorite. »

L'Raiser est persuadé que l'attirance pour la sexualité alternative est liée à l'éducation. Sans s'appesantir sur les détails, il me fait comprendre qu'il a été biberonné au sexe : « Tu sais, moi je suis tombé dedans quand j'étais petit. Disons que j'ai vu des choses que je n'aurai peut-être pas dû voir enfant ». L'O10 est une fille de bonne famille, et a été bercée par le dogme catholique. « J'ai eu une éducation stricte, c'est peut-être lié à ça. Je sais simplement que je n'ai jamais voulu avoir de petit ami normal. Je n'ai même pas essayé. Je ne connais pas le sexe classique, à part à travers les films – et ça ne m'intéresse pas ».

En marge des apparats en latex, L'Raiser et L'O10 feignent l'anonymat. « J'ai perdu quelques copains après leur avoir dit, je pensais qu'ils avaient un peu plus d'ouverture d'esprit. Mais pour eux c'est une déviance, un truc réservé aux fous. Maintenant je ne dis plus rien, je suis Monsieur Tout-le-monde pour mes voisins. Pour vivre heureux vivons cachés, comme on dit ». L'O10 est également très pudique. Elle sait que la discrétion est la condition sine qua non pour continuer à s'épanouir, même si elle s'autorise parfois quelques écarts de conduite : « L'hiver, sous mon col roulé, je garde mon collier de soumise. C'est juste un jonc qui fait tout le tour de mon cou. Je garde ma bague d'esclave aussi, mais personne n'a encore deviné ce que c'était. Pour le reste, je ne dis rien. Même mes amis ne le savent pas. Et mes parents ne le sauront jamais. Je sais qu'ils ne l'accepteraient pas. »

*Le nom a été changé à la demande de notre interlocuteur.