Dans l'enfer du café à licorne de Bangkok

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Dans l'enfer du café à licorne de Bangkok

Un long cauchemar arc-en-ciel peuplé de carbonara multicolores, de gâteau de crêpes, de glycémie et de figurines Mon Petit Poney.

On dit souvent que se réfugier dans un univers imaginaire n'est pas la solution. Que s'évader de la réalité revient à fuir ses problèmes et non pas à les résoudre. Et que les licornes n'existent pas.

En fait, on dit beaucoup de choses. Comme je suis née dans un pays qui roule à contresens sur l'autoroute du bonheur et semble plutôt confiant à l'idée d'entraîner le reste de la planète dans sa course effrénée vers les abysses, j'ai décidé de n'en faire qu'à ma tête et de prendre le train en marche. C'est ainsi que je me suis retrouvée, un samedi après-midi, dans une petite ruelle de Bangkok avec deux amies, prête à embarquer pour un voyage à des années-lumière du réel.

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Toutes les photos sont de l'auteur.

Le Unicorn Cafe ou « café aux licornes », est à la fois comme vous pourriez l'imaginer et également hyper décevant. Contrairement aux autres cafés à thème de la ville dédiés aux animaux – chat, husky ou, plus embêtant, renard – celui-ci ne contient aucun spécimen d'équidé. En attendant que les scientifiques découvrent comment implanter génétiquement une corne de narval sur un pauvre Shetland, les clients devront donc se contenter d'un décor digne d'un Bisounours sous acide.

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Un papier peint aux couleurs de l'arc-en-ciel couvre les murs et le plafond. Des chandeliers en plastique y sont accrochés et toutes les surfaces horizontales sont recouvertes d'une couleur de Yop à la fraise. Il y a plus de Mon Petit Poney que dans tous les rêves que j'ai fait à six ans – cumulés. Une Barbie aux boucles blondes, permanentée comme dans les années 1980 mais étrangement seule, chevauche un des étalons en plastique. Même les caméras de sécurité, qui sont nombreuses, sont assorties à l'endroit.

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Personne ne semble perturbé par tout ce décor. Quand nous entrons dans le café, toutes les places sont occupées par des Thaïlandais et des amateurs de selfies venus du monde entier. Ils sirotent des mixtures affreusement colorées baptisées par exemple « Sang de Licorne » ou alors prennent la pose sur des tas de peluches. Plus de la moitié des personnes ont revêtu une combinaison licorne, comme pour montrer aux rageux niant l'existence des animaux fantastiques qui est le patron.

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Le Unicorn Cafe est un exemple de ces restaus pensés pour Instagram. Comme le Kawaii Monster Cafe de Tokyo dans Harajuku qui a autant de paillettes mais paraît plus chic. Beaucoup de choses ont déjà été dites sur les chefs qui essayent de plaire sur les réseaux sociaux, souvent au détriment de leur cuisine. Il semblerait que ce café licorne soit le pinacle de cette tendance. Et contre toute attente, ça marche. Contrairement à la conviction d'une de mes amies, persuadée que ce lieu ne survivra pas plus d'une semaine une fois le buzz passé, ce café est en fait ouvert depuis 2012. Sa page Facebook compte plus de 173 000 likes. On est donc devant une anomalie inexplicable. Ou alors, les prémisses d'un futur dystopique de la restauration que je risque de ne pas pouvoir supporter.

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Mais je m'éloigne du sujet. En tant que citoyennes américaines, on venait de passer quelques semaines difficiles à tenter d'expliquer à toutes les autres nationalités ce qui était en train de se passer au pays. On était donc fatiguées, déconcertées et lassées d'être énervées. On cherchait par tous les moyens une solution : un peu de magie dans nos petites vies cyniques.

« Je suis assez perplexe, mais j'ai l'impression que toute cette mise en scène soulage mon syndrome prémenstruel », assure l'une de mes potes qui semble s'être rapidement habituée à ce nouvel environnement.

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Logiquement, on vient ici pour consommer de la bouffe. Après avoir attendu que la horde se disperse, on chope donc des places libres et on commande. Bien que la clientèle nostalgique soit en âge de boire (on a vu qu'une seule gosse et elle ne semblait pas du tout être dans le même délire), le café ne sert pas d'alcool. On se console avec du gâteau de crêpes, des spaghettis à la carbonara, des gaufres et un toast, ce dessert bizarrement populaire ici à Bangkok et qui se trouve être un grand cube de pain blanc.

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Le gâteau de crêpes est assez inoffensif avec sa crème sucrée et pastel à l'intérieur ou son topping en marshmallow dont la consistance rappelle le polystyrène. Les gaufres étaient meilleures – même si les boules de glace qui les accompagnaient ne semblaient jamais fondre.

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« Attends, c'est une bougie ? » demande l'une de mes amies dont le visage se décompose subitement. Elle vient de croquer dans la « corne » violette qui était servie avec le dessert. Ici, la plupart des plats, même les burgers, sont servis avec une corne. « Mais pourquoi je continue de manger ? Ça n'a même pas le goût d'un truc comestible. »

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La même remarque vaut pour les plats qui ont suivi. Les pâtes étaient suffisamment gênantes pour qu'un silence pesant s'invite à notre table. Ces carbo étaient composés de nouilles roses, violettes et bleues fluo que mes potes ont vite comparées à des « parasites intestinaux » nageant dans une sauce à la crème qui ressemble à l'idée que je me fais du vomi de licorne. Après avoir échangé des regards horrifiés et attendu que le plat refroidisse, il a bien fallu goûter.

« Ça a un goût chimique », souligne l'une de mes amis tandis qu'une autre expulse un morceau de ce qu'elle pensait être du bacon.

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« Je ne sais pas quelle est la partie licorne de ce plat. J'espère juste que ce n'est pas la viande. »

Finalement, notre plat de résistance arrive : une demi-miche de pain de mie, encore une fois couronné de l'étrange corne comestible et d'une boule de glace tout terrain. Ça a la même odeur que du sirop d'érable. « Ça ressemble à du pain blanc beurré », avance mon amie la plus observatrice. « Il faut être honnête, le beurre est juste génial. »

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Même si ce n'est pas vraiment bon, il est impossible de résister. L'extérieur du bloc de pain est sucré, gras et donc délicieux mais l'intérieur n'est qu'une masse spongieuse sans autre goût que celui de l'air. Chaque bouchée donne de grands espoirs et se finit en grosse déception. C'est sans doute la métaphore de quelque chose mais je ne sais pas bien quoi.

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C'est avec une légère nausée que nous allons payer l'addition à un serveur visiblement fatigué. La soirée se termine là. Après avoir atteint un pic, notre glycémie est déjà en chute libre. L'une de mes amies a coincé sa tête entre ses genoux.

C'est la fin de la cristallisation. On remarque certains détails, comme la jambe manquante d'un des petits poneys ou bien ce couple d'Occidentaux dans un coin qui fixent comme hypnotisés leur smartphone tout en mâchant leur plat en silence. Sortir de ce cauchemar pastel sans se retourner. Je ne suis pas sûre d'être prête pour tout ça. Je vais donc devoir me chercher un autre monde imaginaire.