J’ai essayé de « devenir un homme mon fils »
Illustration : Pierre Thyss

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La vie, ça va passer

J’ai essayé de « devenir un homme mon fils »

Et je n’ai pas réussi.
Paul Douard
Paris, FR

Quand Julia m’a quitté pour Ludovic - consultant en recrutement pratiquant le tennis le dimanche et la masturbation sous la douche le reste de la semaine - sa dernière phrase à mon égard fut : « Paul, pour une fois dans ta vie, sois un homme. » Après un bref instant marqué par le néant, je me suis questionné sur ce qu’elle voulait dire par là. N’étais-je pas un homme moderne ? Je pensais en avoir tous les traits : un emploi qui figure dans le top 10 des métiers les plus sexy, une note de 4,87 sur mon compte Uber et une certaine capacité à sacrifier une RTT pour choisir un assortiment de bougies parfumées chez IKEA. Mais l’énigme est que je n’ai jamais su ce que signifiait « être un homme ». De même que la syphilis, devenir un homme restait davantage un problème lointain qui ne me concernait pas – jusqu’à ce qu’il devienne un motif de rupture.

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Pourtant, le chemin semblait être au départ tout tracé. Erasme, puis mon père, m’avaient tous deux prévenu qu’il était dans la logique des choses que je devienne l’un des leurs. « Un jour, tu seras un homme, mon fils » m’avait-il dit lorsque je n’étais encore qu’un collégien dévoreur de cornflakes. Sauf que je n’ai jamais su quand viendrait « ce jour ».

Comme n’importe quel garçon né au XXe siècle, j’ai grandi avec l’idée qu’un homme devait être puissant - c’est-à-dire à la fois capable de faire jouir une femme seize fois dans la nuit et de chasser un écureuil avec une pierre. L’image de la virilité que j’avais adolescent était un assortiment de fragments de mon père, d’Indiana Jones et de Manuel Ferrara. Je suis aujourd’hui loin de cette image puisque les orages me font peur et qu’il m’a fallu deux ans pour me résoudre à acheter une tringle à rideaux. Mais n’ayant aucun autre repère, j’étais contraint de suivre cette voie. Ce tableau abstrait était comme décrocher Science Po : je ne savais pas pourquoi je le faisais, mais il paraît qu’une fois qu’on l’a, on est libre de faire ce qu’on veut.

La vie n’étant qu’une série d’étapes qui ne conduisent toutes qu’à la mort, j’ai donc pensé que pour devenir un homme, il me fallait là aussi valider quelques quêtes viriles. Bien sûr, coucher avec une fille pour la première fois était l’une de ces étapes. Mais mis à part une baisse non négligeable de ma moyenne générale, rien n’a changé. J’ai ensuite imaginé que vomir après avoir trop bu, ou me battre sur le parking d’une boîte de nuit, seraient les suivantes. Mais je pratique la première, seul, de façon quasi hebdomadaire – et j’y vois plutôt une forme d’immaturité. Quant à la seconde, la seule bagarre à laquelle j’ai participé dans ma vie était contre des gens plus jeunes et plus faibles que moi – ce qui est loin, très loin, de faire de moi un homme-un-vrai. Pourtant, même la récente campagne contre les violences faites aux femmes affirme dans son spot « Que tu peux être fort sans être violent. ». Être fort.

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Lancé à toute vitesse et sans freins sur l’autoroute du pathétique, je voulais à tout prix réussir. J’ai donc choisi d’écouter Sartre, qui disait « L’homme est à inventer chaque jour ». Alors, lorsque j’ai rencontré Julia et qu’elle m’a proposé de la suivre chez elle après une soirée dans un bar, j’ai cru important de lui montrer que j’étais un homme. J’ai ainsi vaguement tenté de la soulever sur son bureau pour lui montrer que j’étais force de proposition. Mais j’avais surestimé ma puissance musculaire et, après quelques maladresses, le lit fut au final un bien meilleur théâtre pour son plaisir. J’étais comme Ovide : « un tronc sans vigueur, comme une statue, comme une masse inutile, et je pouvais douter si j'étais un corps ou bien une ombre », écrivait-il dans Amours. Si nombreux sont ceux qui m’assurent baiser dix fois dans la nuit, je me contente quant à moi de deux. Les fois suivantes sont toujours trop longues ou trop médiocres – l’un n’empêchant pas l’autre.

Si Julia et moi sommes restés ensemble par la suite, il apparaissait clairement qu’avoir joué à l’homme viril n’y était pour rien. Mais très vite, les choses ont évolué. J’ai voulu troquer cette virilité pour une sorte de vie ordonnée qui, me disait-on, faisait aussi partie intégrante du fait d’être un homme.

À 28 ans, on est trop jeune pour être vieux et trop vieux pour être jeune. Il faut donc choisir son camp. J’ai choisi d’embrasser la vie des anciens afin de verrouiller le confort dans lequel je vivais par peur qu’il m’échappe. Sans m’en rendre compte, je me suis retrouvé avec Julia dans un appartement tout équipé, à boire du vin dans des bars décorés comme des Leroy Merlin et à songer à prendre une carte UGC. Le point de non-retour fut atteint lorsque mon nombre de chemises est devenu supérieur à mon nombre de tee-shirts. Je devenais un adulte gris. J’avais tout : un vrai travail, une enceinte de douche bluetooth et des amis que je voyais une fois tous les semestres. Ma vie était devenue simple. Cette situation m’écœurait autant qu’elle me rendait heureux. Je me persuadais que c’était ça devenir un homme : prendre une décision et m’y tenir. Assumer mes choix, en somme.

L’homme viril que j’avais cherché à devenir a été remplacé par un conseiller clientèle de la Caisse d’Épargne. J’étais certes proche d’être un homme, mais un homme avec qui on souhaite ouvrir un plan épargne logement - et non pratiquer une fellation inattendue. Quand Julia est partie, je me suis retrouvé seul dans un appartement, avec comme seul souvenir de cette vie idéalisée les traces de poussière des meubles qu’elle avait emportés. Une nouvelle fois, je m’étais planté.

Quelques relations sans intérêt plus tard, me revoilà à dévaler les pentes de mon feed Instagram dans l’espoir d’y trouver une réponse. Constatant avec effroi que la vie n’est qu’une suite de photos de plages et de chats, je songe un instant à cette insatiable quête pour devenir un homme. À tout juste 29 ans, je ne sais toujours pas ce qu’est un homme, ni même si cela a une quelconque utilité au vu de mes échecs successifs. Est-ce si important ? Julia n’est-elle pas qu’une capricieuse immature ? Suis-je une grosse merde ? N’est-ce pas la faute de la société ? Ne sachant plus quoi faire, je m’en remis une nouvelle fois à Houellebecq qui répondit dans Plateforme à toutes mes interrogations existentielles : « Il y a des choses qu’on peut faire, et d’autres qui paraissent trop difficiles. Peu à peu, tout devient trop difficile ; c’est à cela que se résume la vie. » Alors qu’une certaine quiétude m’envahissait enfin, mon téléphone vibra tel une tondeuse à gazon. C’était un message de Julia :

« On se prend un verre ? »

Paul est sur Twitter – surtout quand il y a de l’orage.