jeune, gay, mince et blanc : que révèle notre nouvelle obsession pour le « twink » ?

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jeune, gay, mince et blanc : que révèle notre nouvelle obsession pour le « twink » ?

Si, selon certains, nous vivons une nouvelle ère du « twink » (ce jeune éphèbe efféminé et svelte) il faut comprendre toute la souffrance que ce corps archétypal a endurée, et toute celle qu'il perpétue.

Cette semaine, le New York Times nous expliquait que nous étions entrés dans une nouvelle ère culturelle, celle du « twink » – ce jeune éphèbe gay, élancé, efféminé, blanc. Pour étayer le propos et illustrer la portée mainstream de ce profil, l’article prenait en exemples de jeunes stars répondant aux critères et florissant cette année aux quatre coins de la culture populaire, dont Timothée Chalamet, Olly Alexander, Troye Sivan et bien d’autres. Plus curieux encore, ils faisaient la différence entre les « twinks gays » et d’autres types de « twinks » comme les acteurs hétéros du film Dunkerque. Cette dichotomie est anhistorique – le « twink » est caractéristiquement gay, aussi fondamental dans notre lexique que le « bottoming » – ou le fait d’être le « dominé » dans l’acte sexuel gay. Mais ce n’est pas le seul aspect révisionniste de l’article. Sa simplicité gomme toute la complexité politique du corps « twink » , toute la souffrance qu’il a enduré et toute celle qu’il perpétue.

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L’origine du terme « twink » est attribuée à un fameux gâteau américain dont l’intérieur est rempli de crème. Une référence plutôt crue aux hommes gays efféminés qui favorisent la position du « bottom » et se font donc « remplir » par leur partenaire. Si le langage en soi n’a assimilé ce concept du « twink » que depuis peu, les relations sociales qu’il décrit sont plus vieilles que l’Amérique elle-même. Dans la Grèce Antique, les relations sexuelles et didactiques entre un homme et un adolescent ont une place encore plus importante dans la cohésion sociale que la relation reproductrice entre un homme et une femme. La pédérastie athénienne est formellement reconnue et même célébrée, tout en étant strictement régulée – l’homme doit profiter de son très jeune compagnon entre ses cuisses sans qu'il n'y ait jamais de pénétration anale. Considéré comme un frein au passage à l’âge adulte pour l’ado qui s'y prête, le sexe anal est alors profondément stigmatisé. Les adolescents d’Athènes ont donc peut-être été les premières incarnations du « twink » de l'histoire.

La dichotomie grecque entre homme et jeune garçon a évolué, mais à l'instar des reliques, les stigmates ont perduré. L’histoire continue jusqu’en 2018 à travers les tribus que l’on peut sélectionner sur Grindr… Êtes-vous un « twink » ou un « daddy », y est-il demandé. Le seul fait que l’application gay la plus populaire de la planète pousse à s’y catégoriser selon des archétypes sexuels en dit déjà long. Cette stricte régulation pèse encore sur les vies des hommes gays aujourd’hui.

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« Le seul fait que l’application gay la plus populaire de la planète pousse à s’y catégoriser selon des archétypes sexuels en dit déjà long. Cette stricte régulation pèse encore sur les vies des hommes gays aujourd’hui. »

Depuis la première fois où nous avons découvert le monde trouble du porno sur internet, protégeant nos écrans d’ordinateurs du regard de nos parents, cette caractérisation des corps nous est devenue familière. Pornhub Gay offre des catégories parmi lesquelles Bear, Daddy, Jock, Twink – invariablement, les hommes musclés, masculins, poilus, sont choisis pour le rôle du dessus, les « tops », et les jeunes hommes élancés et féminins comme « bottoms ». Le masculin est dominant, le féminin est soumis – ce message est encrypté dans nos cerveaux dès les plus jeunes heures de notre éveil sexuel.

Les jeunes hommes gays efféminés comprennent rapidement qu’ils ne seront regardés que comme des objets sexuels – si, par chance, on veut bien d’eux. Sur Grindr, une tendance désormais connue pousse certains gays masculins à utiliser l’abréviation Masc4Masc sur leur profil pour indiquer qu’ils ne recherchent que la compagnie de « vrais hommes », grands, musclés, poilus et hétéronormés. Il n’est pas rare de tomber sur des hommes se vantant d’être des « masc tops », comme si être un efféminé « bottom » était grotesque ou moins avantageux. Le « bottom-shaming » de l’époque athénienne se poursuit. Cette déshumanisation, cette discrimination interne à la communauté gay prolonge une forme d’inutilité projetée sur le corps «twink » par une société plus large et homophobe. Les « twinks » sont enfermés dans des stéréotypes, caractérisés par des traits féminins, et cette féminité fait l'objet de tous les abus homophobes. Les « twinks » efféminés sont les cibles évidentes de la violence – regardez Matthew Shepard. Enfant, il était souvent « cible de brutalité à cause de sa petite stature et son manque d’athlétisme. » La brutalité de sa torture et son meurtre des mains de criminels homophobes forment une page cauchemardesque de l’histoire gay.

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En se pliant aux tropes réducteurs qui leur sont proposés, les hommes gays efféminés espèrent trouver une place au sein de la communauté gay, même si cela signifie être moqué ou réifié. Les modèles twink comme Olly Alexander ou Troye Sivan, qui ont pris la lumière ces dernières années et ont célébré leur féminité, sont un atout positif ; ils réduisent la honte de cette « femmephobie », le récent single « Bloom » de Troye Sivan a été perçu comme un hymne au « bottoming », et le « Sanctify » d’Olly Alexander s’amuse en filigrane à célébrer la soumission sexuelle, moquant au passage la tendance du masc4masc : « You don’t have to be straight with me, I see what’s underneath your masc ».

Il est vrai que le corps « twink » a longtemps été le réceptacle de l’oppression de la féminité et de la violence homophobe. D'une certaine façon, les modèles « twink » participent à l'éradication de cette femmephobie dans la sphère mainstream – c’est peut-être cela que le Times voulait décrire avec ce concept de « l’ère du twink ». Mais cela a laissé un goût amer dans les bouches de nombreux gays. Tout en reconnaissant certains aspects de politique gay, cette déclaration réductrice gomme tout un rapport de pouvoir beaucoup plus complexe et subtile qui se tient sous le concept du corps « twink ».

Le problème va beaucoup plus loin que les « bottoms » efféminés montrés du doigt et stigmatisés de façon misogyne et patriarcale. Le problème est que nous pensons que les hommes féminins sont forcément des « bottoms ». Ce besoin de se conformer à des archétypes punit tous les hommes gays – pourquoi nous soumettons-nous encore à un idéal hétéronormé du masculin « top » et de l’efféminé « bottom » ? Ce n’est qu’un mimétisme des déterminants biologiques qui ont un temps dominé la pensée académique, aujourd'hui invalidée par la théorie queer. Sa présence en toile de fond nous fait du mal et nourrit la transphobie. Les rôles sexuels n’ont pas à être associés à un type de corps. Pourquoi automatiquement présumer qu’un jeune homme élancé ne veut qu'être pénétré ? Supposer que les caractéristiques de quelqu’un déterminent sa position sexuelle est une considération heuristique toxique, d’une absurdité sans nom. Nous n’avons pas besoin de penser binaire. L’oppression de la dichotomie « daddy-twink » ne va pas que dans un sens. La masculinité toxique qu’elle tente d’imposer aux « daddy » est tout aussi traumatisante pour eux.

« Les rôles sexuels n’ont pas à être associés à un type de corps. Pourquoi automatiquement présumer qu’un jeune homme élancé ne veut qu'être pénétré ? »

Plus important encore, l’existence de cette opposition suppose qu’il n’existe que deux genres de corps. Le corps blanc, mince, féminin et le corps blanc, musclé et masculin. Tous les autres types de corps son complètement effacés du panthéon sexuel. Comme de nombreux utilisateurs de Twitter en faisaient l’écho après la sortie de l’article : « Ça a toujours été l’ère du twink ». Ce qu’ils voulaient dire par là, c’est que même si le corps « twink » a été oppressé à cause de sa féminité, il a toujours, au moins, été reconnu. Il y a tellement d’autres types de corps gays qui existent mais sont totalement gommés par la glorification du « twink » – les corps gros, les corps noirs, les corps vieux. S’il s’avère que nous vivons en effet une ère de libération pour le « twink », cette poussée en avant est un bus sous lequel tous les autres corps sont jetés. Sur Grindr, il y a encore plus commun que la femmephobie : le racisme, la grossophobie ou l’âgisme. On n’y lit pas seulement « pas de fems », mais « pas de gros, pas de fems, pas d’Asiatiques et personne de plus de 30 ans. » Grindr propose même de filtrer ses résultats par ethnicité, par poids et type de corps. Résultat : une flopée d’hommes gays se sentent inadéquats, précisément parce qu’ils ne sont pas « twinks », parce qu’ils ne vivent pas en fonction de cette construction idéalisée du corps. Les conséquences de cette honte sont profondes, il n’y a qu’à voir les taux de troubles alimentaires, d’addiction à la drogue et de suicide au sein de la communauté gay. Et même les gays minces et efféminés qui atteignent cet idéal imposé sont forcés à se demander quand est-ce qu’ils dépasseront « l'âge limite ». Avec le paradigme du « twink », les humains sont vendus selon leur date de péremption. La glorification de l’idéal « twink » oppresse à la fois ceux qui l’incarnent et tous les autres.

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