Lara Croft

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Gaming

Lara Croft, vraie rebelle ou simple fantasme masculin ?

Il semblerait que la plus grande star féminine du jeu vidéo cherche encore sa place dans le monde (réel et virtuel) d'aujourd'hui.

« Avec qui aimeriez-vous sortir ? » demandait le sommaire du magazine britannique The Face. « Un hérisson bleu, un plombier court sur pattes ou une fille chic et aventurière avec de gros flingues ? »

Nous étions en 1997 et Lara Croft, la star féminine du jeu vidéo Tomb Raiders’apprêtait à devenir l’une des femmes les plus célèbres de la planète. Un an après la signature d’un gros accord commercial avec la marque de boissons énergisantes Lucozade, elle avait déjà sorti un single (le très étrange « Getting Naked » avec Dave Stewart), fusillé la foule pendant le morceau « Hold Me, Thrill Me, Kiss Me, Kill Me » sur la tournée Popmart de U2, et avait déjà pris une forme humaine pour l’ouverture d’une boutique informatique sous les traits de l’actrice Rhona Mitra.

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« Elle court comme une fille. Elle se bat comme une fille. Elle fait des millions pour Sony parce qu’elle est l’incarnation de la féminité, écrivait alors la journaliste Miranda Sawyer dans The Face. Elle est Lara Croft, le fantasme de millions de personnes et la star du jeu de PlayStation Tomb Raider. » À l’époque, le magazine ne s’y trompe pas en la mettant en couverture.

Lancé pour la Sega Saturn et la Playstation Sony en 1996, Tomb Raider suit les aventures de l’archéologue anglaise Lara Croft qui traverse des grottes souterraines et des tombes sous-marines, combat des singes, des mutants et occasionnellement des tyrannosaures. Lors de son lancement, le succès est immédiat : Tomb Raider s’écoule à 7 millions de copies à travers le monde et s’attire les louanges des spécialistes du jeu vidéo pour son graphisme et son potentiel de jeu. Mais il provoque aussi une levée de boucliers face à la réification du personnage principal qu’il met en place : une femme aux mains des hommes, pour qui elle fait office de jouet.

« J’observais mon cousin jouer quand le premier jeu est sorti et je suis tombée amoureuse de cette héroïne coriace – tout ce que je voulais faire, c’était courir, explorer et me battre, c’est ce qui me semblait cool, » affirme Elle Osili-Wood, écrivaine, présentatrice d’un programme en ligne de jeux vidéos et de sports intitulé Daily Download. Un sentiment partagé par d’autres. Étudiante en sciences informatiques, Kiara Lee décrit son initiation au jeu par son grand-père – « le regardant jouer pendant des heures, fascinée par Lara et par tous les endroits dans lesquels elle s’aventurait ». La journaliste et développeuse de jeux vidéos Chella Ramanan, qui a récemment évoqué le jeu dans un épisode du podcast de la BBC Unpopped, s’est quant à elle pris familiarisée avec la franchise avec le deuxième épisode de la saga, Tomb Raider II sorti en 1997.

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« Il n’y avait pas d’héroïnes. Je me suis toujours dit que j’allais jouer dans la peau d’un mec, d’un alien, d’un singe ou d’un ver – mais jamais dans la peau d’une femme. »

« Jusque-là, ma pratique du jeu vidéo se résumait à pointer et cliquer sur Beneath a Steel Sky ou Les Chevaliers de Baphomet, c’était donc la première fois que j’avais affaire à un personnage principal féminin avec Lara Croft, dit-elle. Tout le monde aimait ce jeu. On y jouait après être allé au pub, en se faisant passer les manettes ou en se hurlant des suggestions pour résoudre les énigmes. »

Chella Ramanan explique que, même s’il y avait déjà eu des personnages féminins dans certains jeux, « il est révélateur que l’un des plus notables soit Samus Aran de Metroid. Non seulement son genre était un secret, révélé comme un Easter Egg, mais en plus une récompense permettait de jouer sans armure, c’est-à-dire en laissant Samus vêtue d’un simple justaucorps. Dans la plupart des jeux, les femmes faisaient office de récompenses pour les joueurs masculins – offrant des baisers ou se dénudant pour les féliciter de bien jouer. » Comme l’explique Elle Osili-Woo, « il n’y avait pas d’héroïnes. Je suis toujours partie du principe que j’allais jouer dans la peau d’un mec, d’un alien, d’un singe ou d’un ver – mais jamais dans la peau d’une femme. »

Lara était donc différente de ce que le jeu vidéo avait donné à voir avant elle. Futée, coriace. « Lara n’était pas une acolyte, elle était au centre d’un jeu basé sur la possibilité de la PlayStation de délivrer une expérience cinématographique, affirme Chella. Mais il ne s’agissait pas de ses seuls atouts. « On ne peut pas omettre ses énormes seins, dit-elle. En fin de compte, le genre de Lara et son sex appeal étaient toujours considérés comme des raisons de s’émerveiller. »

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À la fin des années 1990, la pop culture britannique a été marquée par l’appropriation par les femmes des codes traditionnellement masculins – une période décrite par Chella Ramanan comme « une émancipation tordue, pendant laquelle les femmes pouvaient se comporter comme des hommes en buvant des pintes, en jurant et en regardant du foot mais où il fallait aussi qu’elles aient l’air sexy. » Comme Miranda Sawyer le résumait à l’époque, « Lara Croft, un personnage fantastique, complexe dans un jeu vidéo époustouflant restait toujours agréable à regarder, même lorsqu’elle perdait la partie. » Son personnage siliconé est vite venu orner les posters, le transformant en pin-up [littéralement, la fille qu’on accroche] qui faisait son effet sur un calendrier mais était aussi capable de larguer des bombes.

« Je me souviens des publicités Lucozade, qui fonctionnaient principalement sur la personnalité héroïque de Lara, affirme Chella Ramanan. Mais en-dehors du jeu, Lara se retrouve souvent à demi-nue, étendue sur un lit entourée d’armes. Lorsqu’elle n’est pas en mission, elle vous contemple depuis un poster ou une couverture de magazine. Ses tenues sont variées : on compte le short confortable, la combinaison zippée révélant sa poitrine, la combinaison de plongée (qui a plutôt l’air d’un body et laisse perplexe quand à ses capacités de protection thermique). Et de temps en temps, une robe de soirée fendue jusqu’au haut des cuisses et ouverte sur un décolleté vertigineux. »

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Lara devint rapidement une icône. Tomb Raider II suivit en 1998, jusqu’au quatrième épisode, Tomb Raider : La révélation Finale, en 1999 et un cinquième, Tomb raider : Sur les traces de Lara Croft en 2000. Un film avec Angelina Jolie sort l’année d’après et le succès de la franchise prend une telle ampleur qu’il porte le personnage à la connaissance du monde entier et de tous ceux qui ne se considéraient pas comme des gamers. Sa notoriété continue de pousser la sexualisation du personnage, comme en témoigne cette tristement célèbre scène de douche tirée du film.

« Elle a clairement été conçue à partir d’un regard masculin et ne peut échapper à la sexualisation à partir de laquelle elle a été imaginée, concède Elle. Mais je ne peux pas nier l’excitation et le plaisir qu’il y a à jouer à Lara Croft en tant que femme, et à se retrouver capable de réaliser tout ce que faisaient habituellement les hommes pour secourir une demoiselle en détresse. En fait, c’était tellement à contre-courant à cette époque que je n’avais pas réalisé combien j’avais besoin d’un personnage comme elle. »

Pour Elle Osili-Wood, le succès de Tomb Raider prouve que les jeux dans lesquels les femmes ont le pouvoir peuvent avoir du succès. « Cela a prouvé qu’il y avait un marché pour des titres où l’on donnait aux femmes un autre rôle que celui d’être kidnappées. Et son look de bimbo fantasmée a eu le mérite d’inciter les créateurs de jeux vidéos à être plus représentatifs et ambitieux dans la création de futurs personnages féminins. »

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Si Chella Ramanan affirme à propos des trois grosses franchises sorties ensuite – Metal Gear Solid, Grand Theft Auto et Fallout – qu’elles sont restées d’une domination masculine sans répit, elle voit dans le nouveau film (dans lequel Alicia Vikander est un peu plus vêtue que ses prédécesseures) et le reboot du jeu de 2013 des signes de progrès. « Le nouveau film évite la sexualisation flagrante – même s’il continue d’utiliser les scènes de combat comme des prétextes pour s’attarder sur le corps huilé et affuté de l’héroïne. »

Ici reposent tous les paradoxes de Lara Croft. D’un côté, c’est une femme complexe, autonome et intelligente. De l’autre, c’est un personnage de jeu vidéo, créé par des hommes et, à l’heure de son lancement, pour des hommes. « Mais je pense vraiment que son évolution peut être perçue comme un baromètre de la place des femmes dans le jeu vidéo, » insiste Osili-Wood à propos d’une industrie qui comptait 40% de gameuses aux Etats-Unis en 2010 et est passée à 48% en 2014. « Lara Croft s’est développée au rythme de l’industrie, et beaucoup de changements ont pu avoir lieu grâce à elle. »

« Lara est, ou a été, à la fois une héroïne féministe et un exemple de la réification des femmes, affirme Chella Ramanan. Elle est une héroïne féministe parce qu’elle existe toujours aujourd’hui et qu’elle a été l’un des premiers personnages féminins réellement convaincants au sein du jeu vidéo. C’est le seul personnage qui a réussi à transcender cet univers pour devenir une icône de la pop culture. »

Elle conclut ainsi : « La longévité de Lara prouve qu’elle est plus qu’une simple fille sexy avec un flingue, qu’elle mérite d’être considérée autrement que comme un simple objet de fantasme masculin. La suite de Tomb Raider offre une nouvelle Lara à une nouvelle génération. Puisse son règne durer. »

Cet article a été initialement publié sur i-D US

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