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Food

Le livre médiéval pour survivre aux cuites monumentales

Après avoir passé la soirée à se bourrer la gueule au vin infusé à la marijuana, les fêtards du Bagdad médiéval s'en remettaient aux remèdes anti-ramasse et aux plats réconfortants du plus vieux livre de recettes du Moyen-Orient, écrit à l'époque du...
Photo via Flickr user Walters Art Museum

Les rayons d'un soleil cuisant viennent brûler l'intérieur de vos yeux rouges gonflés et tirent sérieusement les traits de votre visage encore endormi. Un bourdonnement qui semble interminable torture l'intérieur de votre crâne, votre bouche grande ouverte laisse échapper un filet de salive dense qui vient s'ajouter à l'amas de bave qui sèche déjà sur votre joue. Quand au bruit de machine à laver qui résonne dans la pièce, c'est celui de vos intestins qui labourent les résidus putrides d'un alcool encore en état de décomposition.

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Bonjour — vous venez de vous réveiller dans le Bagdad médiéval du Xe siècle et vous avez tous les symptômes du bouffon qui a un peu forcé sur la bouteille la nuit dernière. D'ailleurs on vous attend pour je ne sais quel tour de jonglage de quilles au palais du Calife.

Tout ce qu'il vous reste à faire, c'est d'enfiler un de ces grotesques pantalons bouffants à la mode de l'époque, de coiffer un turban en soie de Perse et de prier pour ne pas avoir à dégueuler en plein milieu de votre représentation pathétique à la cour.

À voir votre tronche, vous devriez encore rester dans cet état de souffrance pour une bonne partie de la journée. Mais si par chance, vous croisez la route d'un certain Ibn Sayyar al-Warraq, vous êtes plutôt peinards.

Car c'est l'auteur d'un énorme ouvrage qui recense plus de 600 recettes de cuisine de la période des Abbassides, à l'époque du Moyen-Orient médiéval. Les historiens affirment que le Kitab al-Tabikh, ce bouquin culinaire écrit aux alentours du Xe siècle et que l'on traduit simplement par « Livre de Cuisine », serait le plus vieux recueil de recettes du monde arabe.

Comme la plupart des auteurs culinaires de l'époque, al-Warraq a pris le soin d'inclure aux recettes des plats des recommandations médicinales et — c'est ce qui nous intéresse ici — des instructions pour la préparation de fortifiants et autres petits remontants pour lutter contre la gueule de bois. Une véritable mine d'or pour les fêtards moyenâgeux du monde arabe qui évitaient ainsi les déconvenues qui accompagnent souvent les lendemains de cuite.

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FAITES-LE : La recette du sandwich anti-gueule de bois

On ne peut pas vraiment dire qu'il était super-bien vu de consommer de l'alcool dans le Bagdad médiéval. Comme aujourd'hui, les boissons qui provoquent l'ivresse étaient proscrites par le Coran : Umar Ibn al-Khattab, le calife « bien guidé » de l'époque, appelait l'alcool « le vin venu d'Inde » et considérait que ceux qui en consommaient étaient des infidèles.

Une version moderne du kishk égyptien. Photo via Flickr Bernadette Simpson

Visiblement, il en fallait un peu plus pour décourager les éternels noctambules qui aimaient s'imbiber et s'enticher d'un peu d'ivresse festive. Les trucs qu'ils s'envoyaient étaient d'ailleurs du genre costaud : pour réaliser un vin connu sous le nom de « Dadhi », al-Warraq recommande de mixer plus de vingt litres de sirop de date avec deux kilos de fleurs de houblon et de miel. Il fallait ensuite mélanger le tout avec de l'eau et laisser reposer la mixture dans des récipients scellés à la boue pendant plus de deux mois. Période au terme de laquelle, selon l'auteur, le vin devient « formidable ».

Mais quand le pinard de date et de houblon n'était pas suffisamment concentré en alcool et ne tapait pas assez sur le crâne, les fleurs de houblon étaient parfois remplacées par une autre plante au pouvoir plus enivrant : la marijuana. Le vin jusqu'alors « formidable » se transformait en sharab al-fusaq, du vin pour « scélérats ».

Al-Warraq, dans sa quête de recensement exhaustif de tous les plats et boissons de l'époque, savait aussi ménager les foies de ses contemporains. Dans son recueil, on trouve notamment des recettes pour préparer la fuqqa, une bière sans alcool à base d'orge, ou des instructions pour faire des vins aux vertus médicinales. Parmi ces derniers, un hydromel fabriqué à l'aide de neuf litres de miel, d'une poignée de noix de muscade, de clous de girofle, de cardamome noire, de fenouil, de gingembre, de zédoaire (une sorte de curcuma blanc) et enfin, d'un peu de safran et de musc pour rehausser le tout. « Avec la permission d'Allah, c'est un bon remède pour les douleurs rénales et les grippes intestinales », note l'auteur.

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Mais ce n'était pas vraiment le genre de boisson qu'on trouvait dans les soirées bagdadis branchées le vendredi en sortant du boulot. Quand la fête devenait plus sérieuse, on s'orientait plutôt sur des bitures à forte teneur en éthanol, à base de dates et de weed, que l'on buvait à pleine coupe en trinquant et en empoignant des morceaux de gazelle braisée au vinaigre.

Pour prévenir les désagréments liés à la consommation d'alcool, al-Warraq préconise de mélanger sa picole avec de la limonade. Selon lui, n'importe quelle limonade fait l'affaire mais celles à base de coings, de menthe ou même de thé à la myrte sont particulièrement plus efficaces.

Mais que faire pour vous éviter d'avoir à ramasser toute la journée le lendemain ?

Al-Warraq invite les alcooliques notoires à boire de l'eau. Pas des grosses lampées d'eau, comme si vous reveniez d'une sortie dans le désert, mais plutôt «plusieurs petites gorgées consécutives entre lesquelles il faut prendre de grandes inspirations ». Puis al-Warraq recommande de manger du kishkiyya, pour bien éponger. Pour cet équivalent du « kebab de fin de soirée » de l'époque on a besoin d'un kilo et demi de viande, de 250 grammes d'oignons émincés, d'herbes variées, d'un peu de pois-chiches, de galanga, d'huile d'olive et de légumes de saisons. On met ensuite tous les ingrédients dans une marmite bouillante et on y ajoute du kishk (une pâte sèche de blé et de yaourt qui est encore utilisée dans certaines régions du Moyen-Orient), du cumin, des clous de girofles et enfin, des feuilles de cassia et de nard (des plantes aromatiques). Après avoir ingurgité ça, on commence à se sentir un peu plus d'attaque. Un poète médiéval a un jour écrit ces vers à propos du kishkiyya : « Après l'avoir mangé, l'ivrogne repartira du bon pied et la gueule de bois achèvera de se dissiper. »

Si vraiment le remède ne fonctionne pas, il reste toujours l'option du bon gros cheeseburger bien gras ou des pancakes au sirop d'érable. Mais autant tout de suite être honnête avec vous : si vous êtes encore coincés dans le Bagdad du Xe siècle, attendez-vous à pas mal tourner en tapis volant pour trouver un fast-food ouvert.

Recettes et citations extraites de Annals of the Caliph's Kitchens, par Nawal Nasrallah.

Cet article a été initialement publié sur MUNCHIES FR en juin 2015.