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Culture

Le père du féminisme est japonais, il s’appelle Hayao Miyazaki

Le courage et l'avant-gardisme des héroïnes pensées par le studio Ghibli ont fait du cinéma d'animation japonais un genre à part et en avance sur son temps.

Quand en 2014, le co-fondateur du Studio Ghibli, Hayao Miyazaki, a annoncé qu’il prenait sa retraite, on murmurait qu’il emmenait avec lui dans l’oubli la maison d’animation japonaise et Les Souvenirs de Marnie, réalisé par Hiromasa Yonebayashi en aurait été le dernier souffle. Raté ! On vient d’apprendre que le réalisateur irlandais Michael Dudok confiait la direction artistique de Red Turtle, son dernier film, à Isao Takahata, le bras droit de Miyazaki au studio Ghibli. Le film, directement affilié au studio d’animation japonaise, sera présenté à Cannes cette année. Preuve que le génie de Ghibli est loin de disparaitre. Depuis 30 ans maintenant, le studio d’animation a conçu et créé les films japonais les plus puissants de l’industrie. À titre d’exemple, on vous rappelle que Le Voyage de Chihiro a généré plus de 300 millions de dollars de recette et obtenu le prestigieux prix du meilleur film d’animation aux Academy Awards. L’histoire avait déjà commencé en 1997, lorsque Miyazaki sortait Princesse Mononoké, le plus grand succès de l’histoire du cinéma au Japon, jusqu’à ce que Titanic survienne et vole la vedette à la princesse des loups. Comme leurs films ont plus de fans à travers le monde que Justin Bieber et Miley réunis (ceci n’est pas une donnée exacte ni certifiée par un quelconque sondage mais une estimation purement subjective), on a voulu connaître la recette magique du Studio Ghibli et de sa réussite qui dépasse les frontières et traverse les générations.

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Un truc saute aux yeux, dans tous les films affiliés au studio Ghibli : les personnages féminins abondent. Ils occupent même souvent le devant de la scène et dérogent à tous les stéréotypes hollywoodiens : San, communément surnommée Princesse Mononoké, est unique en son genre. sa force, sa hargne, son courage en font une créature féminine ultra-moderne prête à se battre sur tous les fronts pour sauver la forêt de la cruauté des hommes. Violente, impulsive, agressive – normal, elle a été élevée par des loups – sa personnalité est plus complexe que n’importe quel personnage féminin de dessin animé. À son opposé, Dame Eboshi, la femme de poigne qui fait tourner les forges en bas de la forêt, présente quant à elle toutes les caractéristiques du méchant : elle tue sans vergogne les trois-quarts des créatures qui occupent la forêt et veut dominer le monde. Sauf qu’Hayao Miyazaki est moins manichéen que ça : même le personnage le plus méchant de ses films possède en lui cette douceur qui le rend plus humain. Dame Eboshi est une femme forte qui loge et fait travailler d’anciennes prostituées et panse les plaies des lépreux à qui elle a créé un refuge.

Mais le féminisme qui émane des personnages de Ghibli ne se mesure pas qu’à ces deux exemples. En 1991 déjà, Souvenirs goutte à goutte, le poétique dessin animé de Takahata – si ce nom vous dit quelque chose, c’est probablement que vous avez regardé (et pleuré devant) Le Tombeau des Lucioles – mettait en scène une jeune célibataire, vivant à Tokyo et subissant les pressions de sa famille, du fait de ses réticences à se marier avec un homme. Plutôt que de suivre la route traditionnelle, Taeko choisit de prendre la tangente. Après avoir refusé une demande en mariage, la jeune femme décide de se débrouiller toute seule. Qui a besoin d’un homme en 1991 ? Le fait que ces personnages féminins, indépendants et fiers, parviennent à reconsidérer les normes binaires qu’imposent encore nos sociétés, est une grande chose. D’ailleurs, aucune des femmes imaginées par Ghibli ne reste à la maison à ne rien faire. Que serait Porco Rosso, le pilote de chasse qu’Hayao Miyazaki dotait d’une tête de cochon et de beaucoup d’humour en 1992, sans Fio, l’adolescente de 17 ans qui dessine les plans de son hydravion pendant la première guerre mondiale ? La jeune fille fait d’ailleurs face au scepticisme de Porco qui hésite à deux fois avant de lui filer le job… Et puis au fur et à mesure que l’intrigue se déroule, Fio gagne le respect et le coeur des hommes qui peuplent le film (normal, elle parle et crie mieux que n’importe quel pirate de l’air). Au cas où vous seriez passés à côté de ce chef-d’oeuvre, toujours plus d’actualité, Porco Rosso est le remède le plus puissant à la misogynie qui continue de faire des adeptes en 2016.

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L’élément fantastique, couplé au féminisme de ses films, est aussi une des clés du succès du Studio Ghibli – ses facultés à mixer les dogmes, les cultures, les religions et le bizarre, l’inhumain, est un des piliers de sa réussite. Sans compter la présence sous-jacente de la spiritualité japonaise et du culte bouddhiste, chaque film du studio Ghibli brouille la frontière entre rêve et réalité. Ce brouillage temporel défend et vient transmettre un message, porté par son réalisateur : Princesse Mononoké, par exemple, est une histoire fictive qui sert la cause environnementale et plus largement, celle de la nature. On pourrait avancer sans trop de risques que Le Voyage de Chihiro invoque autant l’univers merveilleux des enfants que des problèmes de société plus durs, comme la prostitution ou le travail forcé des enfants (rebaptisée Sène, la petite Chihiro doit s’occuper des clients qui viennent se baigner et se faire masser). Dans une industrie du dessin animé dominée par les situations manichéennes et clichées, le studio Ghibli parvient à toucher un public plus large, et pas uniquement de moins de 12 ans, en s’emparant de sujets d’actualité. L’animation est souvent mal vue dans l’industrie du fait de son audience très ciblée. D’ailleurs, la plupart des films réalisés par Ghibli se voient jetés de certains cinémas ou horaires sous prétexte qu’ils sont trop ”mignons” ou naïfs. C’est bien mal connaître ses réalisateurs, dont les films jouent sur plusieurs tableaux : prenons l’exemple de Kiki la petite sorcière, une jeune fille de 13 ans qui quitte le foyer familial pour lancer son service de livraison à domicile par les airs. Si le film d’animation est fantastique, il est un des premiers à s’emparer d’un sujet plus complexe qu’il n’y paraît : les errances adolescentes. Bien qu’autonome, Kiki se bat pour trouver sa place et une identité au sein d’une communauté nouvelle, seule.

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Si l’industrie de l’animation est vue comme un marché de niche, souvent boudé par les publics étrangers, le succès inégalé de Studio Ghibli sert de contre-exemple et prouve que la douceur et la bienveillance peuvent porter des messages politiques très forts, qui traversent les frontières. Si le studio s’exporte si bien, c’est surtout grâce au génie de ses deux fondateurs, Takahata et Miyazaki – leurs caractères féminins hyper indépendants et forts sont à eux seuls une preuve vivante de leur vision moderne du 7ème Art et de la société. Les héroïnes Ghibli ont toute une puissance que peu de réalisateurs masculins accordent à leurs personnages : elles se battent contre des démons, des forces du mal, des femmes (la misogynie n’a pas de sexe), des monstres et des hommes et contre la pression sociale qui pèse sur elles. Bref, l’univers Ghibli propage un message d’amour et de tolérance à l’égard du monde. Comme quoi, l’intégrité peut vous emmener très loin.

Cet article a été initialement publié sur i-D.

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