La porno des années 20 était plus débridée et hardcore que vous pourriez l’imaginer
Images from the personal collection of Albert Steg. Stills from "Getting His Goat" (1920s), "The Hypnotist" and "The Modern Magician" (1930s), "Masque Girls" and "Nylon Man" (1940s)

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Sexe

La porno des années 20 était plus débridée et hardcore que vous pourriez l’imaginer

Et l’art NSFW disparaît.

Sans même l’avoir vu, vous pourriez probablement résumer le scénario d’un film pornographique intitulé The Casting Couch (« audition canapé »). Une jeune femme entre dans une salle d’audition et baise avec le producteur en contrepartie d’un rôle dans un film. C’est une formule usée, aussi routinière que, selon la rumeur, le serait à Hollywood la pratique éponyme. Par contre, vous n’auriez sans doute pas deviné que The Casting Couch est un film muet en noir et blanc du milieu des années 20.

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Comme des milliers d’autres, il appartient à un genre appelé stag, de la porno réalisée dès les débuts du cinéma et qui a progressivement disparu à l’âge d’or de la porno, qui a commencé à la fin des années 60 et connu sa période de gloire dans les années 70. Ces films duraient de cinq à dix minutes et se composaient, après une brève situation initiale, d’un mélange presque aléatoire de pénétration et de sexe oral en plan rapproché, puis d’éjaculation. Un concept qui peut paraître étrange. On croit généralement que l’évolution de notre ouverture sexuelle est linéaire, dit Albert Steg, un collectionneur de films qui connaît bien le stag. Par conséquent, cette porno débridée est une anomalie qui fait l’effet d’une dissonance cognitive. Comme si elle n’était pas à sa place dans les années 20.

En revanche, ces films sont plus qu’une curiosité anachronique. C’est une fenêtre ouverte sur des pans de la sexualité et de la société au début du 20e siècle en grande partie absents des livres d’histoire. Ce sont les racines de réalités qui nous semblent absolument modernes, rendant l’histoire plus humaine, d’une façon complexe et viscérale.

Le stag est souvent confondu avec le nudie parce qu’il s’agit aussi de cinéma pornographique. Mais ils sont plus que ça, selon l’historien des médias Joseph Slade. Le stag était illicite et réalisé anonymement, à l’écart des studios de cinéma. Bien qu’on estime que le premier film du genre date d’autour de 1915, personne ne sait vraiment quand précisément le stag est né.Il s’est popularisé dans les années 1920, avec l’émergence des caméras et projecteurs accessibles à tout un chacun. Des entrepreneurs, probablement soutenus par le crime organisé, tournaient des films un peu partout aux États-Unis, puis en faisaient le trafic dans les villes où se trouvaient des communautés masculines, comme les Elks, les Legionnaires et les Rotarians, ainsi que les fraternités universitaires, qui organisaient des soirées de stag : on contribuait financièrement et on regardait de la porno en groupe. C’était un solide modèle d’affaires, alors les producteurs n’ont pas vu l’intérêt d’innover, et ce, pendant quelques décennies, statufiant un genre sans son, sans couleur et chaotique.

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Dans les années 50, le 8 mm et les petites caméras conçues pour les masses ont fait croître le nombre de productions et projections locales, mais l’aspect communautaire du stag s’est perdu. Puis, dans les années 60, les producteurs se sont écartés de ses conventions. De nouvelles boutiques pour adultes se sont équipées de cabines de visionnement présentant en boucle du matériel porno tourné en 8 mm. Ensuite, le son et les couleurs de la porno sont apparus. En 1968, le genre était mort, remplacé par des longs métrages pornographiques de plus en plus scénarisés, respectant de nouvelles conventions pornographiques, comme la cohérence des aventures plutôt qu’une série d’actes sexuels à la va comme je te pousse entassés entre une situation initiale et une fin.

Une décennie plus tard, le stag avait même disparu de la conscience collective. Seuls des historiens ont conservé de l’intérêt pour le genre. Certains, comme Al Di Lauro et Gerald Rabkin (dans Dirty Movies : An Illustrated History of Stag Film, 1915–1970, paru en 1976), ont soutenu que ces films sont des documents historiques de notre passé sexuel, authentique et joyeux, mais largement caché. Ce serait un chapitre crucial de l’évolution de la pornographie moderne (beaucoup de réalisateurs de stag ont par la suite œuvré dans l’âge d’or de la porno) et une fenêtre sur l’histoire du travail du sexe, de la place des femmes à l’intérieur de celui-ci et de la consommation de pornographie.

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Néanmoins, les universitaires intéressés ont du mal à les étudier. Il n’existe pas de grand répertoire de tous les films du genre ni de registre de leurs producteurs pour aider à les retrouver et les interroger sur leur travail. On n’a pas les moyens de reconstituer le casse-tête qu’est le genre ni de savoir si on dispose de toutes ses pièces.

Il n’y a qu’une seule source d’archives bien connue et substantielle, assemblées dans les grandes années du stag par le pionnier de la recherche sur la sexualité, Alfred Kinsey, à l’Université de l’Indiana. De 1948 à 1956, Kinsey et son équipe ont acheté des exemplaires quand et où ils ont pu en trouver, notant au passage quelques renseignements sur les personnes desquelles ils les ont obtenus. Ils ont aussi conclu des accords avec les postes de police à travers les États-Unis pour que leur soient envoyés tous les exemplaires saisis. L’administrateur de ces archives, Shawn C. Wilson, estime que ces archives regroupent actuellement de 1600 films.

Il assure qu’ils sont bien conservés, qu’ils sont en bon état, qu’ils ont été numérisés et qu’ils sont fréquemment consultés par des visiteurs et des universitaires. Il fait aussi remarquer que la collection continue de croître, car des gens leur envoient leurs découvertes faites, par exemple, dans le grenier du grand-père.

Toutefois, selon Slade et d’autres historiens des médias qui dépendent de ces archives pour poursuivre leurs recherches sur le stag, on ne peut pas dire que les films soient accessibles. Beaucoup se seraient détériorés au point qu’il n’est plus possible de les regarder. L’Université de l’Indiana, quant à elle, semble à la fois fière des travaux de Kinsey et un peu embarrassée par cette collection : elle ne l’a présentée publiquement qu’une fois, en 2003, à l’occasion du cinquantième anniversaire du livre Sexual Behavior in the Human Female de Kinsey.

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Linda Williams, une universitaire spécialiste de la pornographie à l’Université de Californie, à Berkeley, et auteur de Hard Core, un livre paru en 1989, fait aussi remarquer que « Kinsey n’a pas cherché les films représentatifs de la pornographie ni des mœurs sexuelles de l’époque ». Il collectionnait de tout, alors il est difficile de voir ces archives comme un portrait fidèle et définitif de l’histoire du stag ou de son contenu.

Slade ajoute que l’Institute for the Advanced Study of Sexuality de San Francisco et le Museum of Sex de New York possèdent aussi des archives de stag. Mais ils n’ont pas de répertoire digne de ce nom et il est difficile de s’y retrouver. « Aucun des grands musées de la sexualité n’a d’archives significatives », dit-il. D’autres groupes s’étant donné la mission de préserver ces films reçoivent occasionnellement des boîtes de stag, selon Steg, mais « ils restent en désordre, sans description, donc inaccessibles ».

« La plupart des meilleures archives, bien qu’elles ne soient pas aussi vastes que celles de Kinsey, se trouvent entre les mains de collectionneurs privés », affirme Slade. Ils consacrent beaucoup d’énergie à leur recherche, mais c’est un jeu de hasard auquel on gagne peu souvent. Au début des années 90 et jusqu’à sa mort en 2014, Mike Vraney, du distributeur de film Something Weird, basé à Seattle, a commencé à collectionner les films de stag en 16 et 8 mm et ceux du début de l’âge d’or. Il a accumulé des centaines de films, me dit sa femme Lisa Petrucci. Il s’y était mis après avoir trouvé un premier lot dans une unité d’entreposage abandonnée, et sa collection s’est étoffée quand il tombait au hasard sur des boîtes en parcourant eBay.

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Nico Bruinsma, du distributeur Cult Epics, basé à Los Angeles, dit lui aussi que la plupart de ses trouvailles sont survenues par hasard dans des boutiques d’articles usagés ou en rencontrant des gens qui en possédaient dans leur collection. C’est ainsi que Steg, lui-même collectionneur, a aussi mis la main sur ses films de stag.

Nylon Man, paru en 1940. Capture d’écran : Albert Steg

Les collectionneurs privés qui sont aussi distributeurs essaient de mettre leur collection à la disposition du public (comprendre « faire de l’argent »). Mais ils ne les présentent pas intégralement : souvent, ils créent des compilations, comme Grandpa Buckey’s Naughty Stag Loops and Peeps, vol. 14 de Something Weird . À l’occasion, ces distributeurs les combinent à des extraits parus après la période du stag ou à des extraits de nudie du début du 20e siècle, sans le moindre effort pour les distinguer. Ils contribuent ce faisant à la confusion à propos de ce qui appartient au genre ou non.

De plus, ils ajoutent parfois une nouvelle bande originale, des « commentaires stupides », comme le dit Slade, les coiffent d’un nouveau titre, sans jamais donner d’information sur leur provenance ou leur contexte. Ces modifications servent à capter l’attention d’un public moderne, à faire de l’argent et à monnayer la nostalgie et l’étrangeté propres à ce genre, mais nuisent à ceux qui cherchent à les voir tel qu’ils ont été réalisés et à ceux qui tentent de les préserver.

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Pour toutes ces raisons, il ne sera pas aisé de rassembler des archives complètes et de les rendre accessibles au grand public ainsi qu’aux chercheurs fervents. Comme pour de nombreux genres de films d’une époque révolue, au moins la moitié (d’après les estimations de Slade) de tous les films de stag a probablement été détruite, que ce soit par la censure de l’époque ou la détérioration et la négligence au fil des décennies suivantes. Les archives existantes sont pêle-mêle, difficiles à rassembler. Et sans indices ou pistes à suivre pour les collectionneurs, il ne reste qu’à surveiller les arrivages occasionnels sur eBay dans l’espoir de tomber sur des films présentant de l’intérêt ou ayant une valeur historique.

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« J’ai peu d’espoir qu’on arrive à préserver le stag, admet Williams. Personne n’a l’air de vouloir investir dans leur préservation. »

Plus longtemps les films du stag restent cachés, éparpillés et morcelés, plus difficile ce sera de reconstituer des pans de notre histoire sociale et sexuelle qui s’érodent rapidement, et de comprendre la relation entre eux et l’approche moderne de la sexualité, des genres et de la pornographie.

Notre seul espoir, c’est que ce défi et cette menace motivent des universitaires, des collectionneurs et des amateurs d’histoire de la porno en général à faire pression sur les collectionneurs privés et les détenteurs d’archives pour qu’ils rendent public leur matériel, comblent le fossé qui sépare les uns des autres, et contribuent à la recherche et à la restauration. Nous pouvons aussi souhaiter que la quête des pièces d’un genre éphémère et de plus en plus rare motive les collectionneurs à y consacrer davantage d’énergie. C’est, après tout, ce que fait un vrai collectionneur, rappelle Steg.

« Il est plus amusant de chercher quelque chose qui est difficile à trouver, ça donne le sentiment d’avoir un rôle à jouer, dit-il. Vous empêchez quelque chose de tomber dans l’oubli. »

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