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Société

Les difficultés de s'avouer lesbienne à l’adolescence

Il est encore très difficile de vivre des désirs lesbiens quand on est à l’âge où les revues proposent des conseils pour séduire les garçons et que la conformité est un gage de protection.

Jusqu'en 1970, dans la littérature médicale, l'homosexualité est perçue comme une anormalité ou une déviance. En 1994, la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ) publie De l'illégalité à l'égalité, admettant les souffrances et les difficultés vécues par les gais et les lesbiennes au Québec. Depuis, les droits des personnes LGBTQ+ sont de plus en plus reconnus. Bien qu'on observe un discours d'ouverture et de tolérance, l'hétérocentrisme reste bien présent.

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La culture de la féminité entrave-t-elle l'apprentissage de la sexualité?

Dans l'essai Adolescences lesbiennes : de l'invisibilité à la reconnaissance, la sociologue Christelle Lebreton s'intéresse au développement identitaire d'une vingtaine de femmes entre 18 et 26 ans afin d'entrevoir si la culture de la féminité, axée sur la beauté physique et la romance hétérosexuelle, complexifie ou soutient la découverte du lesbianisme des jeunes Québécoises qui se sont confiées à elle.

La pression du modèle hétéronormatif, qui célèbre un roi et une reine au bal des finissants et un premier baiser magique entre deux personnes du sexe opposé enfermées dans une garde-robe pendant le jeu 7 minutes in heaven, rend vulnérables les adolescentes. Christelle Lebreton en vient à affirmer que le besoin de se conformer restreint la découverte de soi-même, car « l'identité féminine repose, jusqu'à un certain point, sur le statut sexuel et la réputation, c'est-à-dire que l'apprentissage de la sexualité par les filles est plus fortement contraint et contrôlé que celui des garçons. »

Les premiers désirs lesbiens confus et les pièges de l'hétérosexisme

Comment vivre l'apprentissage de la sexualité dans des conditions plus ou moins hostiles? M'inspirant de la démarche de l'auteure d' Adolescences lesbiennes, j'ai questionné via Facebook des jeunes femmes sur les difficultés de désirer d'autres femmes, alors que la norme est de répéter mille fois le prénom de son petit copain au réveillon de Noël et de l'écrire au marqueur partout dans son agenda.

Voici ce qu'elles* m'ont répondu.

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Coralie

J'ai toujours su que j'étais bisexuelle, mais ça ne fait que quelques années que je sais que je peux porter cette étiquette, sans être out, cependant, parce que je ne veux pas me faire invalider ni poser des questions. Quand je repense à mon passé, je me rends compte des crush que j'avais envers mes amies, de mes peines si lourdes quand je les perdais de vue. Je me souviens très bien d'une collègue avec qui je travaillais dans une tourbière. Elle avait, tu sais, des petites fossettes au bas du dos? Je trouvais ça sexy, mais j'étais mal dans ma peau, et un peu jalouse. Je sais maintenant que c'était plus que ça. Je me questionne aussi beaucoup sur ce qui m'attire ou non chez les autres. Je trouve difficile de distinguer si j'aime simplement le look d'une personne, ou si elle m'attire, ou si j'éprouve seulement des sentiments amicaux. J'avais déjà lu la phrase « Do I want her pants, or to be in her pants? » Ça résume bien mes relations avec les filles. Je suis plus vieille que la génération des « frencheuses », alors je n'ai pas connu les petits jeux colleux entre amies adolescentes. Dans une relation monogame depuis six ans, j'ai un petit deuil à faire de ces expériences de la vie que j'aurais certainement pu faire si je n'avais pas vécu mon adolescence dans un cadre aussi hétéronormatif.

Amina Au secondaire, j'allais dans une école de filles et je me souviens de leurs discussions sur la gent masculine. Je restais dubitative quant à leur appréciation des dos de gars ou des grandes mains viriles. Il me semble que c'est tellement plus sensuel une fille.

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J'avais une amie très proche, et les gens pensaient qu'on sortait ensemble. Elle me prenait par le bras, on était toujours collées, mais ça me stressait que les autres pensent que je sois lesbienne. Je ne sais pas pourquoi ça me faisait peur. J'ai malheureusement grandi en trouvant ça honteux. Vers le milieu du secondaire, j'ai vraiment voulu un chum. C'était soudainement mon but dans la vie. J'étais timide toutefois. C'est assez paradoxal, car maintenant que je m'assume, c'est avec les filles que je suis timide.

Whitney Un élément qui m'a troublée quand j'avais entre 15 et 20 ans, c'était l'idée que tout d'un coup j'allais me réveiller et découvrir mon attirance réelle envers les femmes, puisque je n'avais pas de bonnes relations avec les hommes. Aujourd'hui, à 24 ans, je vois toute la misogynie qui se cache derrière mes croyances, alimentées par la fausse idée que les femmes deviennent lesbiennes après avoir été frustrées par les hommes. Ça renvoie aussi à l'idée que les femmes sont les uniques responsables des relations amoureuses, et que si ça ne marche pas avec les gars, c'est qu'il y a nécessairement quelque chose qui cloche. C'est déroutant.

Le soir de mes 18 ans, je me suis fait offrir un trip à trois avec deux amies, et j'ai presque dit oui parce que, justement, j'étais toute mêlée. Huit mois plus tôt, j'avais vécu une agression sexuelle. Ça m'avait déboussolée, et j'avais entendu dire que des femmes choisissaient de devenir lesbiennes à la suite d'événements comme ça, pour se sentir en sécurité. Aujourd'hui, ça m'enrage parce que ça entretient les mythes de la culture du viol, en provoquant la confusion des victimes face à leur orientation sexuelle, tout en niant qu'il y a aussi des agressions dans les couples lesbiens. Finalement, j'ai refusé le trip à trois. Je suis déçue du manque considérable d'éducation sexuelle, pas juste dans les écoles, mais partout dans la société. Ça éviterait bien des problèmes de comprendre qu'il n'y a rien de grave à faire des expériences ou à aimer une personne du même sexe.

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Marie-Lise

Je me suis fait traiter de tapette pour la première fois à 5 ans. Rendue ado, j'étais assez renseignée sur l'homosexualité pour être moins affectée par la culture populaire hétérosexiste. À 12 ans, quand des adultes me demandaient si j'avais un partenaire du sexe opposé, je leur répondais que non. Ensuite, je les regardais droit dans les yeux en leur demandant pourquoi ils ne me questionnaient pas à propos d'un partenaire du même sexe. Ensuite, quand j'ai accepté ma transitude, je ne me suis pas posée de question sur mon orientation sexuelle. En fait, je me posais plus de questions sur ce que ça signifiait pour l'orientation sexuelle de mes partenaires. J'ai quand même des psychiatres et des médecins qui utilisent mon homosexualité pour essayer de me barrer le chemin, alors que je cherche des outils médicaux pour transitionner. J'ai même déjà reçu un diagnostic de schizophrénie où mon «homosexualité» (je suis polysexuelle, pas monosexuelle ; la polysexualité impliquant une attirance sexuelle pour plusieurs personnes de plusieurs genres) constituait une preuve que j'étais schizophrène, selon le docteur qui me suivait.

Karen

Pendant mon secondaire, j'étais obsédée par les filles. Je regardais leurs fesses et je disais à mes chums de gars : « Check son beau cul! » Je disais que les filles, c'était vraiment plus sexy que les gars. Mais je disais que j'étais hétéro, que je faisais « juste semblant pour le fun ». Je ne savais pas vraiment comment être attirée par les filles autrement qu'en étant misogyne.

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Ma meilleure amie et moi, on faisait souvent semblant d'être un couple. On se promenait main dans la main, on se pognait les fesses et les seins, on s'embrassait. Elle, elle faisait ça pour exciter les gars. Moi, je faisais ça parce que j'aimais ça. C'est au cégep, dans les vestiaires, que ça m'a fessé en pleine face que je n'étais pas hétéro. Ç'a été rough. Je ne voulais pas ne pas être hétéro. Ça m'a pris un an à l'accepter.

Cady

Je savais que j'étais attirée par les filles dès que j'ai commencé à avoir des désirs sexuels. J'ai eu ma première copine à 13 ans, une relation qui a duré pendant presque six ans. Peu importe ce que les gens me disaient, j'avais toujours mon amoureuse pour me soutenir.

Quand j'ai fait mon coming out à 13 ans, j'ai entendu des « c'est parce que tu n'as pas trouvé le bon » et « faut que tu aies des expériences pour savoir ». Et des expériences, j'en ai eu plusieurs, à cause de la pression de ne pas avoir l'air assez lesbienne. C'est encore difficile, dix ans plus tard, d'avoir à constamment prouver que je suis lesbienne, parce que je ne fitte pas dans des critères définis par la société.

Roseline

J'ai grandi en Australie, et l'ouverture envers les droits des personnes LGBTQ+ n'est pas aussi remarquée qu'au Canada. Je ne me suis pas déclarée lesbienne avant d'avoir 22 ans, car à l'adolescence, je voulais à tout prix éviter tout questionnement à ce propos. J'ai tenté de réprimer mes désirs. Je ne voulais pas avoir à dealer avec la réalité d'être gai. J'ai tenté de me convaincre que je ne l'étais pas. Quand j'ai fait mon coming out, j'ai quand même reçu le même backlash que si j'avais été adolescente. On m'a dit que c'était une phase. J'ai la force et les connaissances pour m'affirmer et me défendre comme adulte, mais jamais je n'aurais senti assez de soutien pour le faire à l'adolescence.

*Les noms ont été modifiés afin de préserver l'anonymat des personnes interviewées.