L'homme qui faisait la bouffe avec le contenu de votre liste de course

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L'homme qui faisait la bouffe avec le contenu de votre liste de course

Tom Lakeman s’est mis en tête de ramasser les listes de courses que les gens jettent et de se servir des ingrédients qui y figurent pour créer une série de plats imaginaires et absurdes.
Phoebe Hurst
London, GB

On peut en apprendre beaucoup sur les gens rien qu'en jetant un œil à leurs listes de courses, tantôt gribouillées sur un post-it froissé, tantôt rédigées à la hâte dans une note sur un téléphone. Parfois, en ramassant un bout de papier par terre, on peut tomber sur une liste qui nous chamboule. « Thé vert, amandes, bouquet de fleurs, riz complet. » : l'image d'une déesse à la peau douce, mâchouillant la pointe de son stylo pendant qu'elle annote sa liste de première nécessité minimaliste. C'est quand on ne tombe pas sur des inventaires autrement plus poétiques : « nourriture pour chat, cotons-tiges, PINARD. » Mais globalement, il y a une certaine beauté éphémère dans ces listes de courses — comme autant de moments de solitude alimentaire figés sur des bouts de papier.

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Depuis cinq ans, le photographe Tom Lakeman s'est mis en tête de collectionner les listes de courses que les gens jettent et de se servir des ingrédients qui y figurent pour créer une série de plats imaginaires et absurdes. Les préparations de Lakeman peuvent prendre alors des tournures inattendues à mesure que chaque produit présent sur les listes, comestible ou non, est utilisé à la confection du plat : les piles électriques se substituent par exemple au steak haché dans les burgers, la mort au rat remplace soudain la sauce tomate dans un plat de spaghettis et les wraps ne se roulent plus dans des galettes de blé mais dans des rouleaux de PQ.

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La salade Marlboro. Toutes les photos sont de Tom Lakeman.

On l'a contacté pour en savoir plus sur sa démarche et son travail. On voulait aussi comprendre quel genre d'inspiration culinaire géniale pouvait bien s'emparer de lui quand il venait à associer, par exemple, des clopes et de la salade comme s'il s'agissait d'une invitation à la cuisine fusion.

MUNCHIES : Salut Tom, pourquoi t'as commencé à collectionner les listes de courses des gens ?

Tom Lakeman : J'ai ce réflexe de récupérer toutes les choses que les gens oublient. J'ai commencé par récupérer tout ce que je trouvais par terre : des listes, des photos, des notes et des dessins. Je les rangeais dans un album et j'essayais de m'imaginer à qui ils appartenaient. Après, je me suis mis à acheter les bagages que les gens oubliaient dans les aéroports de Londres. Je les embarquais avec moi en vacances, et je photographiais les vêtements et les objets perdus par les gens directement depuis l'endroit d'où ils provenaient.

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Mon travail tourne autour de l'identité et de sa reconstruction. À chaque fois que je trouve des listes de courses abandonnées par les gens dans des paniers ou des caddies, c'est Noël avant l'heure : je vais ensuite acheter toutes ces choses étranges et magnifiques — et en même temps complètement ordinaires — que les gens ont un jour griffonnées sur un morceau de papier. Je pense que je possède environ 400 listes de courses.

Comment t'est venue l'idée d'utiliser le contenu de ces listes pour en faire des plats ?

Les listes me fascinaient. Chacune était unique. Puis un jour ça m'est venu comme ça. Je me souviens du moment exact où j'y ai pensé. Pour moi, ce n'était plus des listes de courses, c'était des recettes.

J'ai passé pas mal de temps sur quatre recettes en particulier. Certaines étaient faciles à faire : l'imagination venait assez naturellement et je les photographiais facilement. Mais d'autres recettes fonctionnaient moins, il manquait encore quelque chose. Je n'arrivais pas à savoir si j'étais en train de faire un truc génial ou de la grosse merde.

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Nouilles japonaises aux cotons-tiges.

C'est le moment où j'ai fait appel à Caterina Gobbi, une styliste italienne. Vu qu'elle est Italienne, on organisait nos prises de vue autour des trois différents repas de la journée. Entre les repas, on analysait le dernier et on anticipait le prochain. Elle est brillante, c'était vraiment la meilleure personne pour ce boulot : elle a fait en sorte que les plats aient l'air naturel et spontané à chaque fois. Elle a beaucoup travaillé avec de la bouffe alors elle savait très bien ce qu'elle faisait, en plus d'embellir les présentations.

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Comment tu procèdes pour mettre au point un plat à partir d'une liste de produits qui n'ont strictement rien à voir entre eux ?

C'est génial : les rouleaux de papier-toilette se transforment en pâtisserie, les piles deviennent la viande du burger et les cotons-tiges prennent la place des nouilles dans la soupe. Pour un amateur de bouffe à l'esprit créatif comme moi, c'était comme retourner à la maternelle. Je m'éclatais. Je ne vois plus les produits de supermarché de la même façon aujourd'hui.

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Parle-nous un peu plus des assiettes qui apparaissent dans le livre. Laquelle tu préfères ?

Le cupcake fait avec de la pâtée pour chat. Je pense que les ingrédients qui étaient présents sur la liste n'auraient pas pu mieux se marier. J'ai utilisé les disques de coton pour faire le glaçage et un mélange de concombre, de maïs et de pâtée pour chat pour faire le gâteau. J'ai même pu rajouter une bougie sur le dessus comme annoté sur la liste. C'était comme trouver la réponse à une énigme — on a fait le cupcake parfait.

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Le cupcake à la pâtée pour chat.

Ceci dit, la salade Marlboro était aussi hyper-cool à faire. La salade est présentée dans un cendrier. L'image est trompeuse : ça avait l'air savoureux !

Tu as collaboré avec Sam Bompas et Harry Parr, les gens à l'origine de « Alcoholic Architecture », un bar londonien où l'on se bourre la gueule grâce à un nuage de vapeurs de cocktails. Comment c'était ?

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Sam Bompas est la première personne à m'avoir contacté pour en savoir plus sur le livre que j'étais en train de préparer. C'est un type vraiment talentueux et professionnel : il m'a filé de très bons conseils. Il a adoré le projet et m'a apporté beaucoup de soutien. Il a écrit la préface du livre qui est très drôle. Je suis fan de tout ce qu'ils font et je suis fier qu'ils aient participé à la création du livre.

Tu décris tes préparations comme « joliment immangeables ». Est-ce que c'est une manière de critiquer cette obsession collective actuelle de photographier sa bouffe ? Les photos qu'on poste sur Instagram sont belles, mais elles nous distraient de l'objectif premier de la bouffe, qui est d'être mangée.

Absolument. C'est une critique sur le monde de la bouffe d'aujourd'hui. La mode et l'art ont trop exploité le monde de la bouffe.

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Les makis de papier-toilette.

Aujourd'hui, on célèbre un ingrédient en le couvrant de vêtements chics, de parfums forts et de coupes de cheveux ridicules. Les gens ne s'intéressent plus à ce qu'ils mangent mais à ce que portent leur bouffe et ce à quoi elle ressemble. C'est débile. Arrête de shooter ta bouffe — et bouffe là.

Sages paroles. Est-ce que t'as déjà goûté tes propres assiettes ? Les makis de papier toilette ont l'air étrangement appétissants…

J'ai goûté le frappé de fleurs décaféiné. Ça sentait hyperbon : les fleurs fraîches mélangées au yaourt, aux fruits frais et à un sachet de thé décaféiné. Mais en bouche, c'était immonde. J'ai arrêté de goûter mes plats après ça.

Et c'était peut-être une bonne décision. Merci d'avoir discuté avec nous, Tom !

Les recettes de Tom Lakeman sont recueillies dans son livre, À la cart, dont vous pouvez soutenir le projet sur Kickstarter.

Cet article a été initialement publié sur MUNCHIES en septembre 2015