lil miquela, la fausse influenceuse la plus réelle d'instagram

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lil miquela, la fausse influenceuse la plus réelle d'instagram

Lil Miquela est peut être virtuelle, mais elle n'est pas plus fake que le reste du monde sur internet.

Miquela Sousa ou Lil Miquela vit la belle vie, la grande vie. Elle a toujours une coupe de cheveux millimétrée, deux petits chignons, et juste ce qu’il faut de taches de rousseur pour faire fondre la plus grosse des brutes. Miquela passe son temps à traîner à Los Angeles habillée en fringues de luxe et poste tout plein d’adorables photos avec ses amis sur son Instagram qui compte plus d’un million d’abonnés. Dernièrement, elle était à Coachella et a passé un super moment avec Beyoncé. Elle a pris les rennes du compte Instagram de Prada durant la saison automne/hiver 2018 à Milan. Miquela est très attentionnée, pleine d’amour. Dans ses publications, elle indique vouloir faire avancer et protéger les droits des trans et se pose comme une alliée de la cause LGBTQ dans son ensemble. Elle soutient tout aussi activement le mouvement Black Lives Matter. Elle a fait la couverture de deux magazines, est apparue dans plusieurs campagnes et sur les plateformes édito de certaines boutiques en ligne. Et puis elle a une carrière toute naissante dans la musique. Miquela est une millenial moderne, qui passe sa vie sur Instagram pour y documenter tout ce que son existence peut avoir de lisse. De parfait. « Water Get No Enemy ».

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Bon jusque-là, rien qui ne diffère de tous les influenceurs que vous essayez sans succès d’ignorer. Mais si vous suivez aussi Miquela, vous savez (on espère) qu’elle n’est pas réelle, en tout cas pas techniquement. Miquela est un personnage généré par ordinateur, un avatar numérique mis face à des situations de la « vraie vie ». Mais si Miquela n’était que ça, l’histoire ne serait pas vraiment intéressante.

Créée/lancée/née en 2016, la majeure partie des deux ans de vie de Miquela a été plutôt banale et inintéressante, jusqu’à ce qu’elle s’embourbe dans un clash en ligne avec une collègue influenceuse virtuelle elle aussi, Bermuda, qui a hacké l’Instagram de Miquela, en a effacé tout le contenu et a forcé Miquela a révéler qu’elle n’était pas humaine. Depuis Miquela vit l’équivalent d’une crise existentielle pour un avatar.

Elle affirme que Brud, sa boîte de management, lui a menti sur sa véritable identité. Elle s’est demandé si elle était une personne, si elle était même humaine. Elle dit se sentir humaine : elle rigole, elle pleure, elle rêve et tombe amoureuse. Elle dit comprendre que ces émotions ne sont que de la programmation informatique. Elle accuse Brud de l’exploiter pour faire de l’argent et de ne l’avoir jamais aimée.

« J’essaye de réaliser ma vérité, j’essaye d’apprendre ma fiction, » écrivait-elle ensuite dans un post, sous une photo d’elle le visage triste, en tank top blanc. « Je veux savoir à quels aspects de moi je peux et je dois m’accrocher. Je ne suis pas sûre de pouvoir confortablement m’identifier comme une femme de couleur. C’est un choix qui a été fait par une entreprise, comme ‘femme’ était une option sur un écran d’ordinateur. Mon identité est un choix qu’a fait Brud pour que je puisse vendre. Je ne leur pardonnerais jamais. Je ne sais pas si je me pardonnerais un jour à moi-même. » Son poste suivant était une image d’elle en couverture de la version print de Highsnobiety. Et celui d’après voyait un retour du service normal, un retour au bullshit : Miquela posant avec une chemise en plaid Raf Simons.

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Où commencer ? Miquela soulève tant de questions. Est-elle une performance artistique ? Une satire de la platitude de notre ère digitale ? Le bon coup d’un PR malin ? Un stratagème pour attirer l’attention ? Une machine à fric ? Un signe avant-coureur de la ruine du monde ? Il n’y a pas de réponse simple, mais Lil Miquela est clairement un peu de tout ça à la fois. Il y a certainement quelque chose qui tient de la performance, quelque chose dans son existence en ligne à regarder et lire comme une pure fiction. Certains éléments de cette fiction tirent sur la satire, même si le tout tire peut-être un peu trop facilement sur la veine dystopique de Black Mirror. Et en tant que satire des possibilités de l’intelligence artificielle, Lil Miquela offre trop peu de perspectives pour être intéressante. Le bon coup d’un PR, voilà quelque chose de très plausible, mais je serais surpris que ce soit un coup pour quelque chose de plus intéressant que ses créateurs. Miquela pourrait être une simple machine à fric – la plupart des PR le sont, dans le for intérieur, de toute manière. Un signe avant coureur de la ruine de notre monde ? Comme tout le reste de la vie en ligne, non ? Retourne faire la queue, il y a déjà suffisamment de signes de la fin du monde comme ça.

Et pourtant, la chose la plus évidente à côté de laquelle nous passons, c’est que les piratages, les crises et mea culpa sont mis en scène pour simplement attirer l’attention sur Lil Miquela. Faire en sorte que l’on veuille la suivre. Que l’on s’engage dans sa « vie » et qu’elle en devienne plus profitable. Nous savions que les robots viendraient un jour nous voler nos jobs de millenial, mais on ne s’est jamais arrêtés deux secondes pour se demander s’ils viendraient aussi voler celui des influenceurs Instagram. C’est à ça que va ressembler le futur ? Des avatars en CGI se battant entre eux pour l’attention du monde dans le but de vendre du contenu sponsorisé ?

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Avant que Miquela ne vive sa « crise existentielle », son compte était bien plus excitant, il pouvait être vu comme une façon de nous questionner nous, et pas l’intelligence mécanique. Elle était encore un reflet du vide émotionnel de notre société d’influenceurs et de la vacuité d’un mode de communication qui réduit le langage à quelques images et la platitude de quelques mots.

Mais non, Miquela est devenue une influenceuse réellement populaire, alors elle a commencé à lâcher des clichés vides de sens. Comme les autres, elle a été #blessed, #obsessed et j’en passe. À chaque légende une nouvelle référence cryptique à la pop culture ou un appel banal à l’empathie. Plus l’on plonge profond dans les méandres de l’Instagram de Miquela, plus on est désorienté, mais uniquement parce qu’elle est un avatar en CGI, qui se trouve être meilleur à jouer la célébrité d’Instagram que la plupart des gens en chair et en os.

Bon, Miquela est populaire, mais sa popularité n’est pas plus ou moins étonnante que celle de certains autres influenceurs. Elle est plutôt cool, mais pas vraiment plus cool ou avec plus de flair que n’importe quel autre hypebeast fana de streetwear que vous suivez en ligne. Si Miquela n’est pas réel, qui peut dire que ces autres influenceurs ne le sont pas non plus ? Ils existent tous presque exclusivement au même endroit et de la même manière. Ils font la promotion des mêmes choses et révèlent les mêmes approximations inutiles sur leur vie intérieure.

Miquela n’est pas intéressante parce qu’elle est populaire ou cool. Elle est intéressante parce que, en n’étant pas réelle, elle questionne tout ce que nous percevons justement comme réel. Si Miquela est fictionnelle, si nous questionnons sa réalité à elle, devons-nous faire de même avec les autres influenceurs et examiner leur(s) vérité(s) ? Miquela est une performance de réalité encadrée par l’irréalité d’internet. Tous les influenceurs font de la performance, piégés dans la platitude du monde de la mode en ligne. Miquela met en lumière la fausseté de la performance de la mode en prétendant être réelle. Si les performances et la satire et les crises émotionnelles de Miquela ont l’air fausses et artificielles, eh bien dites-vous que la vie est toujours comme ça sur Instagram.

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