Un déjeuner avec le commentateur le plus sympa de Yelp

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Un déjeuner avec le commentateur le plus sympa de Yelp

Contrairement à l’internaute lambda, qui décharge sa haine sur le site et ne revient plus jamais, Mike s'est spécialisé dans les appréciations positives.
Photo courtesy of Mike Chau.

Photo : Mike Chau.

L'autre jour, j'avais rendez-vous avec le Yelpeur le plus prolifique de tout New York pour déjeuner. Il faut croire que l'on a choisi une adresse bien merdique.

Les amuse-bouches sont arrivés une heure après avoir passé commande. On avait pris du pain brioché japonais avec du porc mariné et de la peau de tofu braisée. Le pain ressemblait à s'y méprendre à celui qu'on nous avait servi dans une petite corbeille pour nous faire patienter. J'en suis venu à me demander si ça valait bien le coup d'avoir lâché seize dollars dans une entrée. La peau de tofu était OK mais en y repensant : pas de quoi s'enflammer. D'autant plus qu'à côté, des gens qui étaient arrivés bien après nous avaient déjà fini leurs entrées. L'impression qu'on nous avait complètement zappé est devenue un peu trop pesante. J'étais déjà en train de rédiger ma propre critique gastronomique amateure dans ma tête, quand mon compagnon de tablée s'est mis à me balancer la sienne : « Je sais déjà à peu près combien je mettrais à cet endroit. Un quatre, ou peut-être un trois, attendons de voir. »

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Ça me paraît bien généreux mais qui suis-je pour douter du jugement de Mike Chau ? Le jeune homme de 33 ans, originaire du Queens, a noté plus de restaurants sur l'année passée que je ne pourrais en visiter en dix ans. Plus connu sur Yelp sous le nom de Mike C., il fait partie de la communauté très fermée des membres « élite » du site. Yelp n'a jamais clairement expliqué comment on peut faire partie de cette catégorie d'utilisateurs experts, mais une chose est sûre : avec environ 1 300 critiques, 41 300 photos et 5000 amis (seuil indépassable sur Yelp), il ne l'a sûrement pas volé. Mike est surtout connu pour son style d'écriture et la qualité de ses critiques – toujours sensées et positives. Sur l'ensemble des critiques qu'il a laissé, plus de mille ont obtenu une note entre quatre et cinq. Un parti pris qui dénote sur Yelp, un site plutôt connu pour attirer ces clients mécontents et peu au fait du fonctionnement de la touche MAJ.

Mais pour Mike, Yelp n'a pas toujours été cet espace de liberté dans lequel il laisse rayonner toutes sa positivité. Comme tout le monde, les premières fois qu'il a posté sur Yelp, c'était pour râler. En 2012, c'était à lui qu'était revenue la charge de choisir le restau pour une virée entre potes. Il a eu le malheur de choisir le Pink Teacup, à Manhattan (aujourd'hui fermé), et ce fut probablement l'une des pires expériences culinaire de sa vie : « Le service était déplorable. On voyait qu'ils se foutaient de la gueule des clients. J'ai donc voulu donner mon avis pour éviter que d'autres personnes ne vivent la même expérience que moi. »

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Contrairement à l'internaute lambda, qui décharge sa haine sur Yelp et ne revient plus jamais, Mike a continué à poster ses réactions sur le site. Il venait de déménager à Manhattan et Yelp était pour lui un prisme par lequel entrer dans le foisonnant paysage culinaire de la ville. Ayant grandi de l'autre côté de la rivière du Queens, là où tout n'est que fast-food, sa relation avec la bouffe était compliquée – Mike eu des problèmes de poids durant toute son enfance : « Quand j'avais douze ans, je pesais plus que maintenant », me dit-il. Après un été passé au régime Atkins et une trentaine de kilos perdus, il s'est tenu à un régime très strict. Plus tard, il a décroché son diplôme à la Boston University, il a épousé son amour du lycée et a trouvé un job de développeur web à Manhattan. Ce n'est qu'après avoir déménagé sur l'île que Mike a consenti à réévaluer la teneur de son régime : « À vivre dans une ville tellement pleine de bonnes choses à manger, je me suis demandé : pourquoi me priver de tout ça ? J'ai donc commencé à sortir au resto de plus en plus. J'ai bien aimé donc je ne me suis pas arrêté. »

Si Mike a réussi à garder la ligne tout en devenant accro aux restaurants, c'est grâce à des séances régulières de cardio et des plats équilibrés, à la maison. Il a commencé à prendre en photo tout ce qu'il mangeait et à le poster sur Yelp, en guise de journal de bord alimentaire. Manger à l'extérieur est devenu comme un sport pour lui : il se tenait au courant par les blogs des dates d'ouverture des nouveaux restaurants. Jusqu'à présent, il a récolté 650 badges « Prem's ».

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Lorsque son activité sur Yelp est passée du hobby à la passion obsessionnelle, Mike a ouvert un compte Instagram en parallèle. Si ses premières photos étaient plus que banales (des boules de glace en faible éclairage), son compte a commencé à gagner en popularité quand il a commencé à mettre son gamin sur l'arrière-plan de ses photos – le combo plat décadent + bébé mignon faisait le taff. Une nouvelle petite fille et 136 000 followers plus tard, @foodbabyny est désormais l'un des comptes Instagram les plus suivis de New York.

A photo posted by Food Baby (@foodbabyny) on Dec 30, 2016 at 4:29pm PST

Wilson Tang avec le fils de Mike Chau auNom Wah Tea Parlor.

Depuis qu'il est devenu hyperpopulaire sur les réseaux sociaux, Mike n'a plus rien de l'utilisateur Yelp lambda. Quand il sort avec ses enfants, il lui arrive d'être reconnu par des serveurs et d'autres clients ; il a rencontré tous les plus grands noms de la scène gastronomique de New York (David Chang, Elizabeth Falkner, Mario Batali) et il est même devenu pote avec certains ; il a commencé à traîner avec la fille de Danny Meyer (après qu'elle l'ait contacté sur Instagram) ; et juste avant notre rencontre, il déjeunait avec le proprio du Nom Wah Tea Parlor, Wilson Tang.

Malgré le fait d'être désormais accueilli à bras ouverts par ceux qui constituent la base de sa passion, Mike doute toujours un peu de sa légitimité : « Sur Yelp, j'ai toujours peur que les gens ne me prennent pas au sérieux », me confie-t-il après avoir coupé son burger en deux pour le prendre en photo sous tous les angles possibles. (Au passage, j'avais bien raison : on nous avait complètement zappé en cuisine.) « Ils [les gens du milieu] considèrent que les gens sur Yelp n'y connaissent rien à la bouffe et doivent donc être ignorés. »

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Mike est au courant que son hobby véhicule son lot de préjugés. Il reconnaît lui-même que pour trouver un avis éclairé, Yelp n'est pas forcément l'endroit idéal. Comme beaucoup d'autres réseaux sociaux, Yelp fournit aux gens un média où exprimer leurs opinions à chaud, sans même se préoccuper de leur pertinence : « Mais je suis l'un d'entre eux, donc c'est bizarre de dire ça. »

Quand je lui demande s'il a pensé à tenir un blog pro, Mike m'explique ne pas être bon écrivain : « Je n'ai jamais suivi aucune formation dans ce domaine. »

Du coup, il continue à poster entre vingt et vingt-cinq avis par semaine sur Yelp, ce site qui lui garantit un important flux de visiteurs. Ici, ses mots n'ont pas le même impact que s'ils étaient publiés dans les colonnes d'un journal reconnu et ses photos ne sont pas validées par des milliers de likes instantanés (même quand ses enfants y montrent leur bouille). Mais quand on consacre autant de temps à Yelp, on finit quand même par être récompensé.

« Dès qu'on va au Queens Comfort pour bruncher, les gens sortent de la file pour venir nous voir et me dire 'on vient ici grâce à toi !' Ça arrive régulièrement, m'explique-t-il. Ça sonne présomptueux mais j'ai vraiment cette impression d'avoir une responsabilité. J'ai entendu des personnes dire 'je n'irai pas si tu écris une critique négative'. Donc ce n'est peut-être pas grand-chose, mais je fais une différence. »

Il gère avec sérieux ses obligations envers ses fans. Même si ses notes sont souvent généreuses, il n'hésite pas à dire ce qu'il pense quand il estime une mauvaise critique méritée. Quand l'addition finit par arriver à notre table après deux heures dans ce restaurant, Mike sait ce qu'il mettra sur Yelp. Un trois – une mauvaise note, selon lui.

Je regarde sa critique le lendemain et je m'aperçois qu'il n'enjolive pas les choses. Il évoque bien l'emplacement mal choisi, le service à revoir et les choix improbables du menu. Mais son paragraphe finit sur un autre ton. Toujours en quête d'un endroit où satisfaire son estomac, il conclut : « Peut-être qu'ils sont plus doués pour les petits-déjeuners. Sur leur menu, j'ai vu pas mal de sandwichs qui avaient l'air bon. J'y retournerai probablement pour tester tout ça. »