Drag queen maquillage

FYI.

This story is over 5 years old.

Société

Une drag queen m’a appris à me maquiller comme un homme

Ce tuto make-up m’a semblé être la bonne excuse pour enfiler des vêtements de femme et remettre ma virilité en question.

M’inviter à une soirée déguisée, ça revient à me demander de ne pas venir. Par conséquent, je n’y vais pas. Sauf si, par le plus grand des hasards, « Hipster 2008 » se trouve être le thème de la soirée. Si j’ai cette chance, je peux me pointer habillé comme tous les jours. Ce que je veux dire, c’est que je n’ai sans doute pas assez confiance en moi et que je suis un poil trop orgueilleux pour sortir de mon rôle et me glisser dans la peau d’un autre. Pourtant, ça doit être enrichissant comme expérience. C’est pourquoi j’ai demandé à une drag queen de me pomponner comme elle.

Publicité

Le Cabaret Mademoiselle à Bruxelles est un endroit où il y a régulièrement des spectacles de drag queens. Edna en est une. Dans la vie de tous les jours, elle s’appelle Gautier et travaille au SPF Intérieur. Après s’être elle-même préparée, à mon tour de prendre place dans les loges en coulisse et la regarder me transformer étape par étape en femme.

Étape 1 : Se raser de près

J’ai apporté ma propre tondeuse, mais vu qu’elle ne rase pas d’assez près, je reçois un rasoir jetable. D’après Edna, ne pas se raser d’assez près, c’est un manque de professionnalisme. Ça me rappelle les premières fois où je me rasais, j’utilisais aussi un petit rasoir Bic. Ado, ce rituel devant le miroir de la salle de bains me semblait être le sommet de la virilité.

Edna: « Les hommes apprennent dès leur plus jeune âge à se comporter comme des hommes. Adolescent, tu apprends déjà à marcher et à parler autrement. Il y a une sorte de code social qui te happe. Être un drag queen, ça veut dire que tu dois oublier ce code. Tu dois détruire quelque chose pour reconstruire autre chose. »

Étape 2 : Coller ses sourcils

Les femmes ont souvent des sourcils moins fournis que les hommes, c’est pourquoi les miens se font plaquer contre l’arcade avec une colle spéciale. Ensuite, Edna repasse sur le tout avec un bâton de colle Pritt. Merde, ça existe encore ces trucs ? La dernière fois que j’en ai utilisé, ça devait être au cours de dessin en 2003.

Publicité

Edna: « Étudiant, je travaillais en tant que barman dans le café drag Chez Maman. Un soir, on a switché : les artistes ont dû tenir le bar et le personnel devait monter sur scène. C’est comme ça que ça a commencé pour moi. Bon, je ne peux pas maquiller ton monosourcil. Je vais devoir l’épiler. Ou bien je te présente comme sosie de Frida Kahlo. »

Étape 3 : Appliquer le fond de teint

Pour atténuer les traits masculins de mon visage, Edna applique du fond de teint clair et du plus foncé. Ça va créer un jeu d’ombres et de lumières afin de modeler des traits plus féminins. Un contouring de l’extrême, en gros. Je trouve la couche épaisse assez désagréable, mais je ne me plains pas pour autant; pas envie de passer pour une mauviette. Je demande quand même à Edna comment je vais faire pour me démaquiller tout à l’heure.

Edna: « C’est pas mon problème, moi je ne fais que te maquiller. Non, je plaisante, tu vas devoir te démaquiller à l’huile de coco. Cette grosse couche de fond de teint, ils utilisent la même dans les pièces de théâtre d’ailleurs. J’aime beaucoup le théâtre et l’aspect technique des transformations. Le secret du fond de teint, c’est le beauty blender. Blend till your hands bleed. »

Étape 4 : Maquiller les yeux

On dit souvent que les yeux sont le miroir de l’âme. Si c’est vrai, j’ai l’âme d’une vieille danseuse du Studio 54. Les paillettes m’aident à me prendre pour quelqu’un d’autre, c’est déjà ça. Et je dois avouer que maintenant, j’éprouve un énorme respect pour les femmes que j’observe le matin mettre de l’eyeliner dans le train. Le crayon, c’est vraiment dérangeant, mais ça me donne directement de plus grands yeux.

Publicité

Edna: « Il y a six ans, quand je me suis maquillé pour la première fois, c’était mal fait. Je suis une personne plutôt timide à la base, et je ne pensais pas du tout devenir drag. C’est le maquillage qui m’aide à entrer dans le rôle et à amuser la galerie. En tant que drag queen, les gens ont des attentes envers toi, du coup je me comporte différemment, je suis plus sociable. En journée, je suis quelqu’un de plutôt calme. »

Étape 5 : Poser les faux cils

Les faux cils sont des enflures. C’est vraiment horrible de se faire coller des trucs sur les paupières. Edna me demande de moins en moins amicalement d’arrêter de cligner des yeux. Elle ne comprend pas que je ne suis pas un mannequin, mais un simple mec qui a du mal à tenir en place. Je peux entendre un groupe répéter chez les voisins. Ils jouent du rock des années 90, genre Pearl Jam et Red Hot Chilli Peppers. Ces sons plein de testostérone m’agacent encore plus.

Edna: « J’avais besoin du monde drag pour sortir de ma coquille. Pour mes parents, ça a été comme annoncer un deuxième coming out. Mon père trouvait ça super bizarre, mais assez bien fait. Ça m’aide aussi à me forger un caractère. Grâce à Edna, j’ai aussi appris d’autres choses comme parler au nom d’une communauté. Quand je suis drag je joue un rôle, mais chacun d’entre nous joue toujours un rôle, même le matin quand t’es dans le train t’es dans un autre rôle que quand t’es chez toi. »

Publicité

Étape 6 : Poudrer l’ensemble

Le jeux d’ombres et lumières qui m’avaient été promis prennent en fait vraiment vie lorsqu’on rajoute encore une couche de poudre. Peut-être que ce n’est qu’une illusion mais j’ai vraiment l’impression de voir mon visage devenir féminin. Même si mes yeux piquent à cause des paillettes et des faux cils, je suis vraiment impatient de voir le résultat final. J’espère que je vais me plaire.

Edna: « Les drag queens n’ont en général pas l’ambition de devenir de vraies femmes un jour. Je n’ai aucun problème avec mon genre et je pense qu’il n’y a qu’une fraction des drags qui veulent devenir femmes ou qui soient trans. Pour moi, c’est juste pour le spectacle. Mes parents ont peur que devenir trans soit ma prochaine étape. »

Étape 7 : Dessiner les lèvres

J’ai déjà entendu Edna et les autres drags me répéter que le rouge à lèvre allait totalement changer mon visage. Elles ont raison. Depuis, je ne comprends d’ailleurs pas pourquoi les femmes n’en portent pas tout le temps. Edna m’a dessiné le contour des lèvres pour les accentuer davantage. Ici, on ne fait pas les choses à moitié.

Edna: « Si t’es bien pomponné comme homme, le public réagira bien et tu verras qu’être drag queen, c’est cool. Il n’y a que les hommes qui ont peur d’être perçu comme des homos ou qui ne sont pas certains de leur virilité qui n’aiment pas ça. Moi, je suis juste un homme qui s’amuse en tant que femme. »

Publicité

Étape 8 : Rehausser les fesses

Maintenant que mon visage est prêt, je reçois un bas-collant que je dois remplir de mousse de latex. J’avais oublié que la matière des collants est le truc le plus ignoble au monde. Ma phobie du déguisement reprend le dessus. En plus de ça, je dois avouer que je me sens complètement impuissant dans cet accoutrement. Je ne sais pas comment je dois me tenir ni me comporter. Sugar Love, une autre drag queen, me dit de coincer mon pénis entre mes jambes. Après ça, je reçois une culotte en dentelle noire à enfiler par dessus.

Étape 9 : Se greffer des seins

Après la culotte, le soutien-gorge. Il est rempli de bas nylon. Comme je mesure pas loin de deux mètres, ma robe ressemble davantage à un chiffon qui ne met pas mes courbes en valeur. Je ne sais pas trop si je trouve ça dommage ou pas. Edna repousse mes épaules vers l’arrière et me dit de bien me tenir. Tant qu’elle me regarde, je n’y arriverai pas. Quand elle se retourne enfin, je m’essaye à un petit déhanchement et tente un geste que je pense féminin avec mes mains.

Edna: « Maintenant, j’achète surtout mes vêtements en ligne. Internet a facilité la vie des drags, on ne doit plus aller dans des magasins pour femmes. Je dépense d’ailleurs plus d’argent dans des fringues pour femmes que pour hommes. Je suis un homme comme il y en a beaucoup, niveau vestimentaire, je me contente de peu. »

Étape 10 : Fixer la perruque

Publicité

Sugar Love me propose une perruque noire et une autre blonde. Je choisis la blonde parce qu’elle me paraît plus féminine. Et parce que les blondes sont marrantes. Quand on sort prendre une verre au bar – un cava, s’il vous plaît, je veux d’abord mettre au clair qu’habituellement, je ne fais pas ce genre de choses. Je refuse d’être étiqueté de gars qui s’habille en femme. C’est seulement quand je ne sens plus les regards sur moi que mon déguisement fait son effet, et que je commence à me comporter différemment.

Edna: « Je n’ai jamais aimé sortir habillé en drag. Je reste la plupart du temps ici, au bar. Si je me décide quand même à sortir, je reste ici dans la rue du Marché au Charbon, la rue gay. »

Après m’être démaquillé et avoir remis mes fringues, on prend le chemin de la gare avec Gautier. Une fois dehors, dans mes propres vêtements, je remarque à quel point ça m’a fait du bien de me retrouver dans la peau d’une autre. Gautier – qui n’est plus Edna – est méconnaissable. Quand j’aperçois notre reflet dans une vitrine, je me dis qu’on est quand même bien ordinaires. Bizarrement, j’apprécie mieux cette version de moi-même qu’auparavant.

Pour plus de Vice, c’est par ici.